Vingt-six jours après l’arrivée de Charlie Dalin, il flottait à nouveau une atmosphère de « grand jour » aux Sables d’Olonne. L’immense popularité de la jeune navigatrice Violette Dorange sur les réseaux sociaux s’est transposée de façon exceptionnelle tout autour du chenal ce dimanche matin. Entretien
Vendée Globe : Que ressens-tu après ce tour du monde et cet incroyable accueil ?
Je suis encore sous le choc, sidérée par la foule présente à mon arrivée ! C’était incroyable ! Je ressens énormément d’émotions, j’ai l’impression d’être en dehors de mon corps. Je suis tellement heureuse d’avoir bouclé ce tour du monde. Je suis allée au bout de mon rêve, de cette aventure, et c’est exceptionnel ! La course a été à la hauteur de mes attentes. Pendant ces trois mois, j’ai vécu des choses que je n’aurais jamais imaginées. J’ai traversé des tempêtes avec des vagues de six mètres et des vents violents. J’ai connu des galères, notamment en devant monter deux fois au mât, mais aussi des moments magiques, comme la découverte de l’île des États, marquant le début de la remontée de l’Atlantique. Cette aventure a été intense et inoubliable. Le jour du départ et celui de l’arrivée resteront gravés à vie. Trois mois sans voir un seul visage, et aujourd’hui cette foule immense, c’est incroyable ! On m’avait dit que l’arrivée serait une déferlante, mais à ce point-là ! Je tiens à remercier mes copains déguisés en dinosaures, ça m’a beaucoup touchée. J’ai versé ma larme dans le chenal. La longueur de la course a été difficile à gérer : trois mois sans voir mes proches, c’est long. J’ai vraiment besoin de les retrouver, de les serrer dans mes bras.Comment as-tu vécu la compétition jusqu’à la fin ?
Pendant deux mois, j’étais à fond dans le match, me battant avec le groupe des bateaux à dérives dans une superbe bataille. À l’approche du cap Horn, j’ai choisi d’attendre deux jours à cause des vents violents. Cette pause m’a fait décrocher du groupe, mais je n’ai rien lâché. Peu à peu, j’ai réussi à remonter et à grappiller des places durant la remontée de l’Atlantique. Cette course, avant tout, a été une grande aventure. Grâce à mon expérience en régate, j’ai cultivé un esprit de compétition qui m’a poussée à tout donner : je dormais peu, je faisais en sorte de régler au mieux le bateau. Je pense avoir fait mon maximum. Tous les concurrents se donnent à fond, même s’ils ne sont pas en tête. Il y avait une véritable bataille jusqu’au bout, notamment avec Kojiro Shiraishi, Louis Duc et Sébastien Marsset.Tu l’as évoqué, tu as choisi de ralentir au cap Horn. Pourquoi ?
Ce passage au cap Horn, je ne le sentais pas. Une grosse dépression bloquait le passage, comme un barrage. Finalement, elle a été moins forte que prévu. Avec le recul, ce pari n’était peut-être pas le bon, surtout que j’ai ensuite eu des vents forts qui ont fait tomber une voile à l’eau. Mais avec des "si", on referait le monde. J’assume cette décision.Tu as eu plusieurs avaries importantes. Qu’est-ce qui a été le plus dur à gérer ?
Pendant toute la remontée de l’Atlantique, je n’ai pas eu de moteur. J’ai tout fait avec des énergies renouvelables. Les hydrogénérateurs et les panneaux solaires ont très bien fonctionné, et je n’ai jamais été en difficulté à cause de ça. Mais j’ai eu d’autres soucis, comme un problème de hook qui a fait tomber une voile à l’eau. J’ai dû la ramener à bord et monter au mât pour la fixer, une première pour moi en solitaire. Deux jours plus tard, le lashing de la grand-voile a lâché, et elle est tombée à son tour. J’ai dû remonter au mât une deuxième fois, mais cette fois dans des vagues, ce qui était beaucoup plus compliqué. Je me suis fait un peu mal et j’ai eu peur. Enfin, pendant un mois, j’ai dû tout manœuvrer à la manivelle, car je n’avais plus de colonne de winch.Comment as-tu géré la peur ?
J’ai eu peur plusieurs fois et je ne m’en cache pas. J’ai eu peur avant de pénétrer dans les mers du Sud, car je ne savais pas à quoi m’attendre. Pendant les tempêtes, j’ai eu l’impression que tout allait casser. J’ai aussi eu peur en montant au mât. Mais la peur est utile : elle te garde vigilant. Ce qui est dur dans le Vendée Globe, c’est qu’on doit continuer d’avancer malgré la peur. J’ai appris à ne pas m’inquiéter à l’avance pour ne pas souffrir deux fois. Quand j’entendais le bateau taper dans les vagues, je me demandais comment il allait tenir. J’ai fini par me dire que si quelque chose cassait, je trouverais une solution.Tu as inspiré de nombreux enfants. Quel message souhaites-tu leur transmettre ?
Voir autant d’enfants suivre le Vendée Globe m’a énormément touchée. Mon bateau s’appelle DEVENIR, et ce n’est pas un hasard. Je veux transmettre des valeurs : croire en soi, se dépasser, oser se lancer dans l’aventure, même si ce n’est pas facile. Ce message est aussi porté par la Fondation des Apprentis d’Auteuil, qui aide les jeunes en difficulté. Mais ce message ne concerne pas que les jeunes : il s’adresse aussi aux aînés, pour qu’ils fassent confiance à la jeunesse. Tout cet engouement m’a portée tout au long de la course. Dans les moments difficiles, je me disais qu’il y avait trop de monde derrière moi pour que j’abandonne. Ça m’a énormément aidée.Pendant trois mois, j’étais dans ma bulle, sans accès aux réseaux sociaux. J’ai pris conscience de l’engouement grâce aux messages de ma famille et de mon équipe. C’était incroyable. Je ne m’attendais pas à autant de soutien. Ça m’a beaucoup touchée en mer, et j’aimerais simplement leur dire merci.
Quel était ton objectif en participant à cette course ?
Mon objectif premier était de terminer ce tour du monde et de vivre une aventure exceptionnelle. Et c’est ce que j’ai fait. Résumer tout ça est difficile. C’est unique, on est seul au monde, parfois plus proche de la station spatiale que de tout autre humain. J’ai vu des choses incroyables : des icebergs à 20 milles, des grains polaires, des arcs-en-ciel... Ce rêve est devenu réalité. Je voulais montrer qu’on est capable de réaliser de belles choses, même en étant jeune. J’espère avoir partagé au mieux cette aventure, et je pense que ce n’est pas fini : il y a encore beaucoup à transmettre.Ces trois mois d’aventure t’ont-ils changée ?
Oui, c’est sûr. Vivre trois mois seule dans un bateau, c’est particulier. J’ai réalisé à quel point j’aime mes proches et mes amis. Le Vendée Globe fédère énormément de monde, un peu comme un mariage où tout le monde est réuni. J’ai reçu beaucoup d’amour, et ça m’a portée tout au long de la course, même si j’ai manqué de contact humain. Cette expérience m’a rendue plus forte.Tu as grandi avec la compétition. As-tu envie de viser les premières places ?
J’adore la compétition. J’ai toujours fait des championnats de France, d’Europe, du monde. C’est stimulant. Le côté aventure est coché, mais la performance est infinie à atteindre. Il y a encore beaucoup de travail à faire. Mais c’est passionnant : une nouvelle aventure commence, et je fais confiance à l’avenir.La suite ?
Je vais prendre le temps de souffler, de profiter de tout ça, de faire redescendre la pression. Mais bien sûr, je veux continuer la course au large, et participer à une prochaine édition du Vendée Globe.Source : M Honoré