Jean Le Cam, 20e du Vendée Globe, "On espère que l’on vous a fait rêver et que l’on vous a apporté un petit quelque-chose dans votre quotidien"

 

Jean Le Cam vient de boucler son 5è Vendée Globe sur un bateau sans foils, en 20è position, en 85j 15h 51min 02s. Jean est aussi le skipper qui aura pris le départ de 6 Vendée Globe et en aura terminé 5. Depuis 2004, le skipper de Tout commence en Finistère - Armor-lux a pris le départ de six Vendée Globe. Aucun autre skipper n'aura autant couru ce tour du monde en solitaire sans escale, qui fait partie de son ADN.

Crédit : V Curutchet




Des moments magiques mais aussi des galères

Jean ne fait pas semblant et raconte généreusement les beaux moments et les plus difficiles. Il évoque aussi les déceptions et les retards accumulés, suite à la rupture de l'étai de J2, voile polyvalente quasiment indispensable dans une remontée de l'Atlantique performante. En chutant de la 14è à la 20è place, Jean s'est toutefois battu jusqu'à la ligne d'arrivée la nuit dernière.

"Chaque tour du monde est différent. Cela dépend de là où tu es, à quel moment. Charlie (Dalin) dit que, pour lui, ça s’est passé comme une lettre à la poste. Quand tu peux garder un front chaud et aller quasiment à la même vitesse, ce que font les multicoques, tu as une mer plate tout le temps, tu ne te fais pas rattraper par le front froid et tu peux allumer grave. Vous allez aussi vite que l’événement ? Donc vous le maîtrisez. Si vous allez plus vite c’est encore mieux. Mais si l’événement vous dépasse, vous subissez. C’est le rouleau compresseur qui arrive derrière…"

"La remontée de l’Atlantique a été difficile sur le plan physique, la descente aussi d’ailleurs. J’avais près de 1000 d’avance au Cap Horn, j’étais assez content et ça finit en peau de chagrin avec une succession de barrières météo."

"Des moments très difficiles : comme le moment où l’étai de FRO casse et que tu reviens sur les autres, la voile est à l’eau, il faut se débrouiller à la sortir de l’eau, la réparer, la renvoyer, changer le hook,… Il y a eu des moments de détresse totale.

C’est bien quand ça s’arrête aussi ! Quand tu dois monter dans le mât pour la 3è fois tu te dis, j’veux pas y aller mais il faut y aller… Tu es content quand tu es redescendu. On est parfois dans des situations extrêmes où on est obligé de faire face. Si tu ne fais pas face, tu sais que ça n’ira pas. Tu es content une fois que c’est terminé. Mais quand tu as la voile dans l’eau, ça traine, le bateau freine. A un moment la voile sort de l’eau, c’est un cerf-volant de 130 m2 qui se balade à l’arrière du bateau, la galère."

"On revient des Açores avec 2 ris dans la Grand Voile, J3, ce n’est pas très confortable mais on a eu la chance d’avoir une nuit avec la lune, le bateau sur mer plate. C’était magique. Les bascules de vent on va les oublier… "

Le partage

Jean évoque le partage plutôt que la transmission parce que le partage se transmet dans les deux sens. Jean apprécie plus que tout le partage, notamment avec les plus jeunes, pour rester jeune lui aussi : « La fraicheur, toutes les nouveautés qu’il peut y avoir, la façon dont on aborde tous les sujets, te font vieillir un peu moins vite dans ce partage avec des plus jeunes. »

Il rend bien sûr hommage à Benjamin Ferré qui a terminé à la 16è place, et premier bateau à dérives droites. Ils ont beaucoup partagé ensemble pour préparer ce Vendée Globe : « Benjamin ? Il a mérité cette place. Dès qu’il a eu un problème dans le sud, avec peu de vent, il s’est fait rattraper par ses concurrents. Deux jours après, il reprenait l’avantage. Il a su faire ».

Et pourtant, certains choix de route de Benjamin ont paru osé tandis que Jean, l’expérimenté, était plus « conservateur » : « L’expérience n’est pas toujours un atout, l’insouciance en est parfois un. Entre les deux, mon cœur balance. »

Le partage c’est bien sûr aussi les moments partagés avec le public : « J’ai essayé de faire partager un peu de mes moments d’émotion. C’est aussi ça le Vendée Globe, ce n’est pas qu’aller plus vite que l’autre. »

"Pour prendre le départ de ce Vendée Globe, on a fait notre choix avant la course. A l’arrivée, on s’aperçoit qu’il y a deux catégories de bateaux, les bateaux à foils, les bateaux sans foils. Le public fait des choix comme il ne s’y retrouve pas. Il a classé les bateaux en deux catégories. »

« Les bateaux à foils ont prouvé qu’ils étaient capables d’aller vite dans des conditions musclées. Ils ont fait la preuve de leur fiabilité, Charlie Dalin a complètement éclaté le record, 10 jours de moins que le meilleur en 2016 (Armel Le Cléac’h, Banque Populaire). Il y a 4 ans, on avait mis 80 jours. Cela fait 16 jours de moins cette année. J’aimerais bien aller sur un foiler pour voir."

"Entre la dernière génération de foilers et la génération précédente, il y a un monstre d’écart. Et ça ira crescendo si on y fait pas attention."

" C’est la caricature du pauvre qui est plus pauvre et du riche qui est plus riche, à l’image de notre société. Dans le futur, ça va être extravagant. »

" Si je repars dans 4 ans ? On vient d’arriver, on verra bien."

Avec son franc-parler et son déhanchement dans le chenal, Jean Le Cam a comblé le public des Sables d'Olonne ce mardi matin. Il a donné le mode d’emploi de sa caméra « clac clac clac » avec malice, raconté Albert l’oiseau (un Noddi brun) et le fameux scotch oublié dans son sac pour conclure « On espère que l’on vous a fait rêver et que l’on vous a apporté un petit quelque-chose dans votre quotidien. » Mais on retiendra également les difficultés d’une telle course, son plaisir du partage et l’avenir.

Source : Kaori