Benjamin Ferré (IMOCA Monnoyeur-Duo for a Job) a bouclé son premier Vendée Globe, ce lundi 3 février à 12h21, en 84 jours, 23 heures, 19 minutes et 39 secondes. 16e au classement général, il termine surtout 1er bateau à dérives... 15 minutes et 50 secondes devant Tanguy Le Turquais. Entretien
La lutte des bateaux à dérives :
« On a gagné notre mini Vendée Globe ! Quand j’ai passé la ligne d’arrivée, j’avais vraiment l’impression d’avoir gagné le Vendée. C’était magique et surtout, je n’aurais pas pu rêver d’un scénario plus haletant que celui-ci. Tanguy a émerveillé mon Vendée Globe avec la compétition qu’il a instaurée entre nous, ça m’a poussé dans des retranchements extraordinaires et ça rend la ligne d’arrivée encore plus belle. 16 minutes d’écart, dans l’histoire du Vendée Globe, je ne sais pas s’il y a des mano a mano qui ont duré aussi longtemps avec un si petit écart à l’arrivée, mais aujourd’hui, il n’y a pas qu’un seul vainqueur à dérives, il y en a deux. Sur l’échelle d’un Vendée Globe, 16 minutes, c’est comme si on avait passé la ligne ex-aequo. Un immense bravo à Tanguy et un immense merci d’avoir amené ce piment-là dans mon Vendée Globe. Je crois que ma plus belle découverte du Vendée Globe, c’est Tanguy Le Turquais. »L'aventure et la compétition :
« L'aventure et la compétition, ce sont les deux choses qui me passionnent le plus. Quand la compétition s’invite à la table de l’aventure, c’est le Graal et ce mano a mano qu’on a vécu avec Tanguy, ça a donné une intensité, au point que la délivrance au passage de la ligne d’arrivée est quasiment inexplicable, il n’y a pas de mot pour décrire ça. Ce matin, j’ai eu mon dernier lever de soleil et j’ai à peine eu le temps de savourer parce qu’il fallait aller régler les voiles, Tanguy était en train de revenir. Ça a été de tous les instants et c’est sûr que c’est venu titiller mon esprit de compétition mais aussi l’amour du jeu. Je me disais "peu importe le résultat", ce qui était beau c’est le jeu qu’on avait fait, à quel point la compétition nous a obligés à nous dépasser pendant tout ce tour du monde quasiment ; ça fait trois mois qu’on fait la course, pas bord à bord mais presque, et depuis le Cap Horn on ne s’est pas lâchés, il n’y a pas eu plus de 20 milles d’écart entre nous deux, ce qui est extraordinaire. Ça a façonné une partie de mon Vendée Globe et ça l’a rendu encore plus extraordinaire qu’il ne l’était. »« Je termine devant Jean (Le Cam). C’est vrai que pendant très longtemps, le scénario que j’ai vécu avec Tanguy, je rêvais de le vivre avec Jean et parfois, tu as des images pendant le Vendée Globe, tu rêves à des scénarios et je rêvais de ce scénario-là, vraiment, tel qu’il s’est passé, sauf qu’à la place du bateau rose, il y avait Jean Le Cam. Jean n’était pas là mais il était là parce que l’élève est loin d’avoir dépassé le maître. Par contre, l’élève s’est tellement inspiré de Jean... J’ai essayé de mettre en application tout ce qu’il m’avait appris pendant quatre ans, et les 48 dernières heures, qui étaient les plus intenses, je n’ai eu de cesse de me demander comment Jean naviguerait dans ce genre de situation. Hier soir, je n’en pouvais plus moralement, parce que je n’en pouvais plus de voir Tanguy revenir et de devoir me bagarrer pour rester devant mais Marine (sa compagne) m’a transmis un mot de Jean qui disait "Moi c’est trop tard pour remonter sur Benji mais par contre, je veux qu’il soit premier des bateaux à dérives" ; ça m’émeut encore, ça m’a donné le petit supplément d’âme et l’énergie finale que j’ai eus pour me bagarrer jusqu’au bout. Les 24 dernières heures, elles sont venues parce que j’avais envie que Jean soit fier de ma course et fier de m’avoir accordé sa confiance, fier de m’avoir transmis tout son savoir sans porte fermée, un peu en open bar. Il n’a pas gagné la compète des bateaux à dérives mais quelque part, à travers mon résultat, il a gagné aussi. »
Ses 3 plus grands moments :
« Le Vendée Globe, ce sont les extrêmes. Le plus beau moment, qui était l'un des plus beaux moments de ma vie, c’était le passage du Cap Horn. Une espèce de délivrance, d’accomplissement, un vrai sentiment de gratitude. Je n’avais jamais pleuré de gratitude de ma vie, je ne savais même pas que ça existait, et je l’ai découvert au Cap Horn. Au moment du passage du Cap Horn, ce qui m’a ému aux larmes, c’est que dix ans auparavant, je passais ce même Cap Horn au travers d’un petit bateau de croisière Antarctique, je faisais un tour du monde en stop, je n’avais jamais mis les pieds sur un bateau de course au large de ma vie ; le même jour, François Gabart passait ce même Cap Horn en tête du Vendée Globe avec le bateau sur lequel je navigue aujourd’hui, et je me disais si on avait dit à ce jeune adulte de 20 ans à l’époque "dans 10 ans tu passeras ce même Cap Horn avec le bateau sur lequel François Gabart vient de le passer", je pense que je n’y aurais jamais cru et c’est ça qui m’a ému, je me suis dit "je suis tellement reconnaissant envers la vie de m’avoir amené vers ce point-là" et sans le savoir, toutes les expériences que j’ai faites, tout ce que j’ai pu faire dans ma vie, tout ça m’a guidé vers cet instant-là et, ça c’était magique. Comme quoi, parfois, c’est bien de prendre les chemins qui ne mènent pas à Rome. »« Un des moments les plus difficiles, c’est la nuit où j’ai cassé mon vérin et où j’ai ressenti exactement le même bruit, la même sensation que lorsque j’ai cassé mon vérin sur la Transat CIC, qui a conduit à un abandon, et là, instantanément dans mon esprit, j’ai cru que le Vendée Globe était terminé. Je n’ai jamais été comme ça de ma vie, j’étais défiguré de pleurs tellement j’étais dépité parce que j’ai cru que c’était la fin de mon Vendée Globe. C’était à la fois la plus grosse douleur de ce Vendée Globe et mon plus gros défi, ça a été de réparer, je ne pensais pas que j’en étais capable, et le fait d’avoir réussi, ça m’a donné un supplément d’âme et de confiance qui était extraordinaire. Après ça, je me sentais presque invincible parce que j’avais réussi là où j’étais le moins bon, j’avais réussi à réparer quelque chose que même à terre on ne pensait pas réparable, et pour le coup, mon équipe dans ce moment-là, ainsi que Jean, ont été des acteurs majeurs et m’ont permis de finir ce Vendée Globe. Ça a été le pire et le meilleur en 12 heures d’intervalle. »
« Mon 3e meilleur moment, c’est quand j’ai découvert, je crois, l’un des plus beaux endroits de la terre, j’ai promis à Marine qu’on y retournerait tous les deux, c’est le passage de l’île Fernando de Noronha, un archipel brésilien. Je suis passé à moins de 0,2 mille de l’île et je ne sais pas, j’ai senti que c’était le plus bel endroit sur terre, c’était luxuriant, il y avait du vert, il y avait de l’eau turquoise, des dauphins. C’était la première terre que je voyais depuis le Cap Horn, j’ai mis ma petite musique et c’était un moment rien que pour moi, qui était magique, une espèce de Graal absolu et de moment de grâce où tu te sens là où tu dois être au moment où tu dois l’être et je l’ai vécu seul, juste pour moi. Je me suis dit que j’allais retourner dans cette petite île perdue de l’Atlantique. Passer aussi proche, je n’étais vraiment pas loin de m’y arrêter, je me sentais comme attiré par cette île. »
Ce qui lui a le plus manqué :
« C'est la fête ! Je rêve de m’asseoir à une table d’un bistrot, une petite table ronde, avoir un petit verre à ballon, un verre de rouge, de la musique en fond, un groupe live qui jouerait de la musique, des petites tapas à partager sur la table, un groupe de copains, des rires, des histoires, une ambiance festive qui part en fête, qui part en rires. C’est ce que j’ai envie de retrouver, le rire qu'il y a derrière tout ça, l’amusement, les gens que j’aime. C’est ça qui m’a le plus manqué, le fait de rire avec les gens que j’aime. »Ce qui va le plus lui manquer :
« C’est mon bateau. Tout à l’heure, j’ai passé la ligne d’arrivée et là, on doit patienter pour passer le chenal et du coup, on m’a proposé de rentrer à terre et j’ai eu une espèce de haut le cœur à l’idée de descendre de mon bateau. C’est mon compagnon de route, c’est comme quand tu tombes amoureux pendant une colonie de vacances et à la fin des vacances, tu n’as pas envie de te quitter. Là, c’est un peu pareil, je suis tombé amoureux de mon bateau pendant cette grande colonie autour du monde et je n’ai pas envie de le quitter. Je crois que c’est lui qui va le plus me manquer dans les jours qui viennent. »Source : N Bardel