Ces derniers jours, les projecteurs du Vendée Globe sont braqués sur les derniers IMOCA à foils, alors que les leaders affrontent une météo musclée dans le sud de l’océan Indien. Cependant, plus à l’ouest, les skippers des bateaux à dérives livrent également une bataille fantastique.
Cet après-midi, le vétéran Jean Le Cam (Tout commence en Finistère-Armor Lux) domine la flotte des IMOCA à dérives en occupant la 20ᵉ place du classement général. Juste derrière lui, à 55 milles, Benjamin Ferré (Monnoyeur-Duo For a Job) pointe en 22ᵉ position, alors que les deux skippers français approchent la longitude du Cap de Bonne-Espérance.
Plus en retrait, Tanguy Le Turquais, 35 ans, à bord de Lazare, navigue à près de 100 milles de Jean Le Cam. Il est suivi par la benjamine de la course, Violette Dorange, 23 ans, qui participe à son premier tour du monde en solitaire et sans assistance à bord de Devenir. La jeune navigatrice se trouve à environ 145 milles derrière son mentor, Jean Le Cam, qui l’a accompagnée dans sa préparation pour cette aventure hors norme.
Malgré leurs bateaux plus anciens, Tanguy Le Turquais et Violette Dorange réalisent un début de course remarquable et relèvent avec enthousiasme le défi de leur premier Vendée Globe. Contactée par la Classe IMOCA alors qu’elle surfait au portant à 420 milles à l’ouest du Cap de Bonne-Espérance, Violette Dorange a partagé son émotion de voir son rêve se concrétiser à chaque mille parcouru.
« Pour moi, franchir l’Équateur était déjà un moment incroyable », confie Violette Dorange. « Découvrir les alizés, vivre les calmes équatoriaux, voir les systèmes météo inversés dans l’hémisphère sud… tout cela était totalement nouveau pour moi. Et depuis hier, je découvre l’océan Austral : le froid, les oiseaux, les vagues qui deviennent complètement chaotiques. C’est juste incroyable – j’ai vraiment l’impression de faire un tour du monde. »
De son côté, Tanguy Le Turquais, ancien skipper en Mini 6.50 et en Figaro, décrit cette course comme « vraiment exceptionnelle » jusqu’à présent. « Je pense que c’est le cas pour tout le monde en ce début de Vendée Globe », déclare-t-il. « Ça fait quoi, trois semaines qu’on est en mer ? Et je n’ai traversé qu’un seul front. Je n’ai jamais déroulé une voile de près, jamais navigué au près, ni utilisé mes dérives. Depuis le départ, c’est uniquement du portant, ce qui est assez extraordinaire. »
À la barre de l’ancien Groupe APICIL, Tanguy Le Turquais ne cache pas son bonheur. « Eh bien, oui… Je prends un plaisir fou sur ce bateau », affirme-t-il. « La vitesse du bateau est incroyablement grisante – les lumières, les couleurs, le vent – tout, absolument tout. C’est du bonheur à l’état pur du début à la fin. Pour l’instant, je ne souffre de rien et je savoure tout. C’est vraiment un pur bonheur. »
Si vous cherchez quelqu'un souffrant de stress, de solitude ou d'angoisse, vous ne le trouverez pas chez Violette Dorange. « Même après 24 jours, je ne me sens ni seule ni ennuyée », explique-t-elle. « Chaque jour est vraiment différent. Ces derniers jours, il y a eu beaucoup de manœuvres à faire. Je reste occupée en analysant la météo, en réglant les voiles, en dormant et en mangeant. J’ai plein de choses à faire : je lis, j’écoute de la musique et des podcasts, et j'écris dans un journal. Je pense que j'ai un bon rythme et je me sens bien sur mon bateau, ce qui est le plus important. Je suis vraiment heureuse d'être ici – c'est trop cool. »
Tanguy Le Turquais, quant à lui, adore naviguer avec de la musique dans le cockpit. Il estime que naviguer sans bande-son, c'est comme regarder un film sans son. Cette fois, il redécouvre une vieille playlist de son adolescence, avec le groupe de hip-hop français Sniper. « Je n’arrête pas de l’écouter en ce moment », plaisante-t-il.
Devant elle se profile le grand défi à travers l'océan Austral, mais Violette Dorange se montre sereine face à ce qui l’attend. « En ce moment, je me trouve dans la première dépression qui va nous toucher, et elle est particulièrement forte. Lors de la première rafale de ce système, j’ai été prise au dépourvu par des vents de 42-43 nœuds. Tout est devenu soudainement blanc avec les vagues, c'était assez étrange. Mais cette première dépression est en réalité rassurante. Elle m’aide à me préparer pour la suivante, qui sera encore plus intense. Cette première expérience m’a permis de mieux cerner ce à quoi m’attendre avec les vagues, la précision des prévisions météo et la force des rafales », explique-t-elle.
Pour cette jeune navigatrice exceptionnelle originaire de La Rochelle, qui à 15 ans traversait la Manche en Optimist, le classement n'est pas une priorité, même si elle figure actuellement parmi les quatre premiers bateaux à dérives sur quinze. « Pour l’instant, l’essentiel est de survivre – terminer la course sans casser le bateau ni rencontrer trop de problèmes. Mon objectif principal reste de franchir le Cap de Bonne-Espérance. L’idée est de se concentrer sur la sécurité, finir la course et boucler ce tour du monde », ajoute-t-elle.
Tanguy Le Turquais, quant à lui, semble partager une approche différente sur ce sujet. D’un côté, il affirme vouloir simplement donner son maximum, sans se soucier du podium, mais il nuance ensuite : « Je ne serai satisfait que lorsque j’aurai dépassé Benji (Ferré) et Jean – c’est certain. Je ferai tout pour les rattraper. Si je donne tout et que je n’y parviens pas, cela voudra dire qu’ils ont bien navigué contre moi, et ça me va – il n’y aura aucun regret. Mais pour l’instant, je vais tout donner pour essayer de les rattraper. »
Il semble aborder le grand sud en solitaire pour la première fois sans hésitation. « J’ai vraiment hâte de ce qui m’attend », confie le skipper de Lazare. « Je suis impatient de découvrir l’océan Indien, même si je sais que c’est un océan difficile et impitoyable. Mais j’ai hâte d’y arriver – et aussi de le traverser. »
Il a ensuite offert un aperçu fascinant de la préparation mentale d’un solitaire lorsqu’il a évoqué ses réflexions en cas de situation critique. « Plusieurs fois par jour, je passe en revue des check-lists mentales et je me demande : ‘Si quelque chose casse et que je me retrouve dans mon radeau de survie, de quoi ai-je besoin ?’ Je le note dans ma tête : ‘Je prendrai ceci, cela, et ça.’ »
« C’est quelque chose que l’on ne fait pas dans d’autres courses », ajoute-t-il. « Je pense que c’est propre au Vendée Globe, cette nécessité de toujours s’attendre au pire. Honnêtement, j’ai l’impression que l’épée de Damoclès est constamment au-dessus de ma tête. »
Source : IMOCA