Les marins du Vendée Globe, acteurs essentiels de la science océanographique mondiale, "l’hémisphère sud, une région où nous manquons cruellement de données"

 

Depuis 2015, la Classe IMOCA collabore étroitement avec la Commission Océanographique Intergouvernementale (COI) de l'UNESCO pour faire des skippers des acteurs clés de la recherche océanographique. En partenariat avec l'UNESCO, ces navigateurs embarquent des instruments de pointe pour mesurer des paramètres cruciaux des océans. Leur contribution enrichit ainsi la compréhension du climat global et de la santé de nos océans, tout en participant à l'amélioration des modèles météorologiques et climatiques.


Crédit : A Beaugé



Cette initiative collaborative s'inscrit dans le cadre du projet Odyssey lancé par OceanOPS pour soutenir la Décennie des sciences océaniques, proclamée par les Nations Unies. Le projet Odyssey vise à reconnaître et structurer au sein d’un programme coordonné, toutes les contributions à l’observation de l'Océan portées par la société civile, le secteur privé et la course au large…

Fruit d’un partenariat ambitieux entre l’UNESCO, le Vendée Globe et la Classe IMOCA, cette collaboration a pour objectif d’accélérer la recherche océanographique et de perfectionner les prévisions météorologiques. Concrètement, 25 skippers de la flotte du Vendée Globe 2024 embarqueront des instruments de mesure, déployant ainsi une véritable “station scientifique flottante” autour du globe. Ces équipements permettront de collecter des données précieuses, notamment dans des zones encore largement sous-échantillonnées, comme les mers du Grand Sud. Cette mission aidera à améliorer les services de prévisions météorologiques, tout en fournissant des informations cruciales pour les scientifiques qui étudient l’évolution du climat.

Les instruments scientifiques embarqués, fournis par des acteurs majeurs tels que l’Ifremer, Météo France, le MetOffice britannique, le CNES, GEOMAR, la Fondation TARA et l’ETH Zürich, offrent une technologie de pointe. Les données collectées par ces instruments permettront d’alimenter le Système mondial d’observation de l’océan (GOOS). La coordination de l’ensemble des opérations est assurée par OceanOPS, le centre international d’excellence de l’UNESCO et de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM), chargé de superviser ces systèmes d’observation météo-océanographiques. En parallèle, ce projet s'accompagne d'initiatives pédagogiques à destination des écoles et collèges, afin de sensibiliser les plus jeunes à la protection des océans et aux défis climatiques.

La collaboration entre navigateurs et scientifiques : une synergie gagnante

Comme l'explique Emanuela Rusciano, océanographe et directrice des sciences et de la communication à OceanOps/ UNESCO, cette collaboration repose sur plus de dix ans de travail avec les skippers de courses au large, notamment ceux de la Classe IMOCA. « C'est une relation gagnant-gagnant », précise-t-elle. « Les navigateurs, en déployant des bouées météorologiques, bénéficient directement de leur contribution scientifique. En effet, ces bouées collectent des données comme la pression atmosphérique, ce qui permet d'améliorer leurs prévisions météorologiques pendant la course. Ces informations, essentielles pour la performance des skippers, sont également partagées avec la communauté scientifique mondiale. »

Cependant, la contribution des navigateurs va bien au-delà de la simple amélioration de leurs propres prévisions. Les données qu'ils recueillent sont cruciales pour alimenter le Système Mondial d’Observation de l’Océan, qui nécessite chaque année de collecter un maximum de données météo-marines. « Les bateaux de recherche ne peuvent pas accéder à toutes les zones océaniques à tout moment, surtout dans l’hémisphère sud, une région où nous manquons cruellement de données. C’est là que la collaboration avec les skippers du Vendée Globe prend tout son sens », souligne Emanuela Rusciano.

Des instruments embarqués pour une meilleure compréhension des océans

Lors de l’édition 2024 du Vendée Globe, plusieurs types d’instruments scientifiques seront embarqués à bord des bateaux. Parmi eux, les célèbres flotteurs Argo, capables de collecter des données sur la température et la salinité des océans, deux paramètres clés pour l’étude des courants marins à grande échelle. Ces flotteurs permettent aussi d’analyser le contenu thermique des océans, un indicateur crucial du réchauffement climatique. « Depuis les années 1970, nous savons que les océans ont absorbé 91 % de la chaleur excédentaire due à l'augmentation des gaz à effet de serre », explique Emanuela Rusciano. Mesurer ces variations de température est essentiel pour comprendre le rôle de l'océan dans la régulation du climat et le changement climatique.

Ces données sont ensuite utilisées dans des modèles de prévision météorologique et climatique, aidant les experts à affiner leurs prédictions et à mieux anticiper les phénomènes extrêmes.

Des bouées pour collecter des données météo-marine en temps réel

Un autre dispositif central de cette campagne de collecte est l’utilisation de bouées dérivantes. Ces bouées seront , déployées par les skippers dans des zones où l’on manque de données en Atlantique sud et dans les mers Australes « L’océan autour de l'Antarctique est le moins connu de la planète. C’est l’une des rares régions où un courant océanique fait littéralement le tour du globe, transportant ces bouées dans une boucle quasi continue », explique Sébastien Péré, expert Météo France.

Ces bouées suivent les courants pendant plusieurs mois, voire des années, fournissant des données en continu sur les conditions océaniques. « C’est une véritable opportunité de collecter des informations précieuses dans des régions sous-échantillonnées », ajoute-t-il.

Le projet innovant de Paul Meilhat et Biotherm

Dans le cadre de son projet avec Biotherm et la Fondation Tara, Paul Meilhat participe activement à la recherche sur l’océan, notamment sur le plancton, ces micro-organismes incapables de se déplacer contre les courants marins. Biotherm, engagée dans la préservation des océans depuis 1952 et partenaire de Tara depuis 2017, a pour devise « Le sens nourrit la performance ». Cette collaboration se concrétise à bord de l’IMOCA de Paul Meilhat avec l’installation d’un microscope automatique de 35 kg. Ces images alimentent une banque de données analysée par intelligence artificielle avec un taux de reconnaissance de 98%. Ce dispositif, en préparation depuis deux ans pour résister aux conditions extrêmes de la course, permet de continuer le travail de Tara, qui œuvre depuis 21 ans pour la recherche publique à travers les océans, sous la direction de Romain Troublé.

Le microscope, positionné au centre du bateau, prélève des échantillons d’eau toutes les heures et prend des photos toutes les 20 minutes. Au total, 4 millions d’images ont déjà été récoltées, avec un objectif d’un million de clichés supplémentaires durant le Vendée Globe 2024. Ces images, datées et géolocalisées, sont accessibles à tous les chercheurs via la base de données EcoTaxa, leur permettant d'étudier les écosystèmes marins avec une précision inédite. Ce capteur constitue une avancée majeure dans l’étude des océans, contribuant à la mission globale de Tara de trouver des solutions pour leur préservation.

Une ambition pour l’avenir

L'ambition est grande pour les prochaines éditions du Vendée Globe. Emanuela Rusciano espère que d'ici 2028, l’ensemble des bateaux de la course seront équipés de ces instruments de mesure. « Il est essentiel de soutenir l’observation des océans, et les skippers ont un rôle clé à jouer dans cette mission. »

Grâce à ces collaborations, les skippers IMOCA dépassent les frontières du sport. Les navigateurs ne sont plus seulement des compétiteurs solitaires en mer, mais des ambassadeurs de la science, contribuant à la compréhension des océans et sa préservation.

Source : IMOCA