Défi ultime, l'endurance mentale pour les skippers du Vendée Globe, "Il est crucial de savoir comment vous agirez dans des situations dangereuses"

 

Le 10 novembre prochain, le Vendée Globe s'élancera des Sables d'Olonne, mettant à l'épreuve la dextérité nautique, la compétitivité et l'endurance des marins et de leurs IMOCA dans une aventure sans égale.


Crédit : M Le Roux - polaRYSE / Foussier

Cependant, le défi le plus redoutable et souvent méconnu du Vendée Globe réside sans doute dans l’aspect psychologique : comment naviguer en solitaire autour du monde pendant 80 jours ou plus, à travers certaines des mers les plus dangereuses de la planète, tout en préservant sa santé mentale ?

Les 40 skippers de la Classe IMOCA inscrits pour l'édition 2024-2025 de cette course emblématique vivront des moments d’euphorie intense, mais également des phases de profonde désillusion et de découragement. Ils seront confrontés à la peur, à la solitude, et même à l’ennui, tout en luttant contre le manque de sommeil. Chaque homme ou femme se retrouve seul(e) face aux éléments et, dans une certaine mesure, face à ses propres démons intérieurs.

Sébastien Marsset, skipper de l'IMOCA Foussier, a consacré une attention particulière à cette dimension psychologique en préparation de son premier Vendée Globe. 

« Ah, c’est se confronter à soi-même », déclare Sébastien Marsset sans hésitation. « C’est affronter ses propres faiblesses. Je pense que c’est le plus grand défi. Manœuvrer le bateau est une chose, on peut casser du matériel, mais je sais comment le faire fonctionner. Cependant, des événements imprévisibles vont se produire sur cette course, et je ne sais pas comment je vais réagir, car je n’ai jamais passé autant de temps seul en mer, ni autant de temps isolé tout court. »

Déjà expérimenté, Sébastien Marsset a navigué a déjà fait le tour du monde à bord du maxi-trimaran Spindrift lors du Trophée Jules Verne, ce qui lui donne une certaine idée de ce qui l’attend. Cependant, cela ne l’amène pas à sous-estimer le défi colossal qui se profile à l'horizon. Pour se préparer au mieux, il a travaillé en étroite collaboration avec la psychologue du sport Anne-Sophie Douguet.

« Nous avons abordé tous les défis auxquels je fais face, tant à terre qu'en mer, ainsi que sur mes aspects personnels et professionnels », explique-t-il. « Notre objectif est de me placer dans la meilleure position possible pour le départ de la course. Nous avons également développé les outils que j’utiliserai pendant la navigation, car il est crucial que je sois 100% efficace. »

Pour faire face à l'ampleur du défi que représente le Vendée Globe, Sébastien Marsset a décidé de segmenter la course. Il envisage, par exemple, une phase d’ouverture de trois à cinq jours après le départ, qui pourrait être marquée par des conditions météorologiques difficiles. Cela sera suivi d'une section un peu plus facile en passant par Madère et les Canaries, puis par la période des alizés, avant d'aborder les calmes équatoriaux. Dans son esprit, il identifie chacune de ces étapes et les valide au fur et à mesure de sa progression.

« Je travaille à découper le parcours en différentes parties tout en appréciant le chemin déjà parcouru. Je ne sais pas ce que le Vendée Globe va m’apporter – cela va durer environ 90 jours – et je veux naviguer un jour après l’autre, de manière à simplifier ma réflexion », explique-t-il.

Il aborde avec une franchise désarmante l'ampleur du défi psychologique qui l'attend. Un aspect particulièrement révélateur pour lui est que l'élément le plus stressant de sa préparation au Vendée Globe a été la période à terre. En effet, sa campagne a constamment souffert d'un manque de financements et a même frôlé l'effondrement. Cette situation a exigé toute sa force mentale pour maintenir son attention sur l'objectif du départ. « J’ai dû gérer beaucoup de choses à terre et il est vrai que cela a, pour l'instant, été bien plus éprouvant à terre qu’en mer. »

Comment les navigateurs du Vendée Globe peuvent-ils faire face au stress de la course en solitaire ? Pour répondre à cette question, nous avons demandé à Anje-Marijcke Van Boxtel, psychologue organisationnelle néerlandaise qui a notamment collaboré avec l’équipe 11th Hour Racing Team lors de la dernière édition de The Ocean Race en 2023.

Anje-Marijcke souligne que la préparation mentale est essentielle et peut véritablement faire la différence. Selon elle, les marins gagneraient à créer leur propre « boussole personnelle des comportements efficaces et inefficaces ». Cette connaissance de soi est un atout majeur.

« Un marin doit être conscient de la façon dont son esprit pourrait réagir sous une pression extrême en solitaire », explique-t-elle. « Il est crucial de savoir comment vous agirez dans des situations dangereuses qui déclenchent des pics d’adrénaline et de cortisol. En identifiant vos déclencheurs émotionnels et en reconnaissant vos schémas de pensée et de comportement, vous pouvez mieux les réguler. »

Elle insiste sur le fait que la gestion des émotions est une compétence clé. Tenter de réprimer une réaction intense face à une crise ou à un problème soudain ne fait qu'aggraver les choses. « Ce qu'il faut développer, c'est la capacité à ressentir les émotions avec un "esprit témoin", » précise-t-elle. « Acceptez-les, apprenez à les vivre pleinement. Évitez de les enfouir, car elles finiront par régir votre vie. Il est crucial d'accepter ces émotions lorsqu'elles surgissent dans des circonstances difficiles. »

Anje-Marijcke souligne qu'une technique similaire s'applique à la peur, qui est une réaction naturelle face aux situations potentiellement dangereuses rencontrées par les navigateurs du Vendée Globe. « Reconnaître la peur comme une émotion saine qui vous aide à survivre est essentiel, » déclare-t-elle. « Il est important de se permettre d’avoir peur, de se rassurer en se disant que cette réaction est appropriée dans un environnement risqué. Cependant, il faut aussi se préparer à la manière dont vous allez agir. Que vais-je me dire pour garder le contrôle lorsque j'ai peur ? Nos pensées peuvent en effet réguler nos émotions et notre comportement. »

La privation de sommeil est un autre danger majeur lors du Vendée Globe. Van Boxtel insiste sur l'importance de reconnaître tôt les signes de fatigue et de savoir comment y faire face. « Il est crucial de comprendre comment le manque de sommeil affecte votre cerveau et votre comportement. Par exemple, il est fréquent de négliger son alimentation, ce qui peut vous faire perdre le contrôle si vous n'intervenez pas à temps. La situation peut rapidement se détériorer, entraînant une perte de persévérance et de clarté cognitive, » explique-t-elle.

Au cours de l'entretien, il apparaît clairement qu’il existe des outils pour aider les navigateurs à surmonter les défis psychologiques du Vendée Globe. Bien que des moments difficiles soient inévitables, une bonne préparation peut fournir aux marins des techniques précieuses sur lesquelles s'appuyer lorsque les conditions se corsent.

Sébastien Marsset en a pleinement conscience. « Manquer de sommeil affecte profondément votre état émotionnel, » souligne-t-il. « Vous pouvez vous sentir euphorique après une bonne navigation ou un bon classement, puis plonger dans une déprime, parfois sans raison apparente ou pour une raison que vous jugez importante, mais qui s’avère souvent infondée. Sur le bateau, il est difficile de réguler ses émotions, de trouver le juste équilibre et de réaliser que votre perception de la situation peut être erronée. C'est un véritable défi, » conclut-il.

Source : IMOCA