Les P’tits Doudous, futur IMOCA signé VPLP d’Armel Tripon, est en cours de construction à Nantes. Rencontre avec Quentin Lucet, architecte associé de VPLP Design, et Katia Merle, ingénieure structure et spécialiste de l’éco-conception.
Comment s’est passée la rencontre avec Armel et quelles ont été les bases de ce nouvel Imoca ?
Quentin Lucet : C’était au technocentre d’Airbus en 2021. Armel était en contact avec l’avionneur qui détenait, suite au Covid, un stock de carbone ayant dépassé les dates limites d’utilisation en vigueur dans l’aéronautique. Mais le projet d’Armel n’était pas de faire un Imoca à l’économie. D’emblée, l’ambition s’est portée sur un bateau techniquement et sportivement compétitif, mais avec la plus faible empreinte carbone possible. Les deux axes principaux pour réduire cette empreinte, c’était bien entendu de travailler sur les matériaux utilisés, mais aussi sur les outillages. C’est pourquoi la réutilisation des moules de Malizia Seaexplorer est tout à fait pertinente, dans la mesure où la fabrication des moules est une part importante de l'empreinte carbone d’un projet de course. Nous nous sommes donné le temps de faire une boucle d’optimisation du bateau sans toucher à la carène, qui a depuis largement fait ses preuves, pour le mettre à la main d’Armel. Le process a duré près de deux ans et en janvier 2023, on a tous dit “go !” même si le budget n’était pas encore complètement bouclé…Quels problèmes techniques a posés la réutilisation de ce carbone périmé, pas vraiment destiné au départ à la course au large ?
Q.L. : Le grade de la fibre restait dans la jauge Imoca, mais il a fallu revoir le cycle de cuisson du pré-imprégné, car les températures initialement prévues pour révéler la résine étaient de 180 degrés, alors que la jauge Imoca tolère 135 degrés maximum. Duqueine Atlantique, qui s’est beaucoup investi [un hangar dédié a notamment été construit sur le site de Malville par le chantier, jusqu’ici spécialisé dans l’aéronautique, NDLR], a donc fait de multiples échantillons que nous avons caractérisés et testés. Sur le plan mécanique, ils se sont révélés probants. Il faut aussi souligner que le projet d’Armel a été accompagné pour la partie bureau d’études et le suivi de chantier par le Team Malizia, ce qui a facilité les choses.Katia Merle : Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’ambition technique du projet dépasse de loin les exigences environnementales de la nouvelle règle de la classe Imoca, à venir en août, qui s’attaque principalement aux moules et aux chutes de fabrication des foils. Ces postes représentent certes de gros gains dans l’éco-conception mais ne mettent pas en question la performance. Armel Tripon et Duqueine Atlantique ont vraiment fait un pas de côté et leur projet a un caractère pionnier. Les P’tits Doudous sera un vrai prototype, au sens propre du terme, avec la beauté et les risques que cela représente.
Le bateau a-t-il été entièrement réalisé avec ce carbone déclassé ?
Q.L. : Non, avec 70% environ. Nous avons sanctuarisé certaines pièces, comme la cloison de mât réalisée avec des pré-imprégnés neufs, mais dans son immense majorité, le carbone provient du stock d’Airbus. Les grammages des tissus provenant de chez Airbus étaient différents de ceux utilisés pour la fabrication de son sistership, Malizia, il a donc fallu refaire une boucle de calcul sur pas mal de pièces.Armel annonce 70% de carbone périmé dans la construction pour un gain de 50% d’émissions. Comment passe-t-on d’un chiffre à l’autre ?
K.M. : 70% du pré-imprégné à impact zéro, ça ne fait pas 70% de l’impact total car beaucoup d’autres pièces entrent en ligne de compte. Mais ces chiffres montrent que le pré-imprégné, si l’on comptabilise sa fabrication et sa mise en œuvre, avec les questions de cuisson et de consommables notamment, reste très impactant.L’opportunité de ces gisements déclassés d’Airbus fait-elle de ce projet Les P’tits Doudous un one-shot ou pensez-vous qu’il soit reproductible à l’avenir ?
Q.L. : Je ne sais pas si c’est reproductible en l’état, mais c’est en tout cas un signal fort. Les gisements de carbone déclassés de l’industrie sont récurrents et la classe Imoca doit d’ailleurs rencontrer Airbus prochainement pour voir quelle collaboration pourrait être envisagée à l’avenir. De nombreuses démarches isolées pour récupérer du composite (fibre déclassée, fin de rouleau, rebuts…) commencent à voir le jour et il faut rester en veille.K.M. : Avant ce projet, il existait clairement une barrière technologique, avec les problèmes de températures de cuisson, la compatibilité des matériaux d’âme, des moules, avec ce carbone d’une provenance inhabituelle… Si l’Imoca d’Armel est bien né et s’avère au niveau à tous points de vue, ces freins seront levés et ça donnera des idées. Ça facilitera la porosité entre le milieu du nautisme et les géants de l’industrie qui sont les vrais donneurs d’ordre auprès des fabricants de matière.
Source : VPLP