Au terme d’un improbable scénario signé Justine Mettraux et Julien Villion, Teamwork aura contribué à maintenir un suspense intact pendant les 12 jours et fait rêver beaucoup de monde sur cette Transat Jacques Vabre. En faussant compagnie aux leaders partis vers le soleil dès le cinquième jour, les Jujus ont chaussé crampons et piolet à l’assaut des éléments pour écrire une histoire qui restera dans les annales. Un café solo et frappé à la fois, qui aurait pu être gagnant avec un peu plus de réussite et se solde par une superbe sixième place à Fort-de-France, acquise dans un dernier coup de force au contournement de la Martinique.
A défaut d’avoir décroché la lune, les Jujus ont gagné s’il le fallait encore, la reconnaissance de leurs pairs, poussé leurs organismes et leur bateau dans leurs retranchements. Et ils peuvent savourer d’avoir fait douter les meilleurs tout en laissant dans leur tableau arrière de nombreux IMOCA plus récents.
« La route de montagne n’est pas facile, elle nous a donné du fil à retordre, mais ça valait la peine d’être tenté et d’être joué. Lorsqu’on voit les vitesses de bateaux de tête, on serait loin de la Martinique encore à l’heure qu’il est, à batailler dans un peloton un peu derrière et nous n’aurions pas obtenu cette belle sixième place » déclaraient les Jujus le pied posé sur le ponton d’honneur, marqués mais heureux d’une course menée avec panache, détermination et talent.
Qui aurait d’ailleurs imaginé un tel scénario au départ du Havre ? Lâchés après huit jours d’attente dans le bassin Paul Vatine pour laisser passer les tempêtes Ciaran et Domingo, les 40 IMOCA partent le couteau entre les dents le 7 novembre. L’entame est rugueuse avec un passage de front brutal la première nuit qui envoie au tapis huit IMOCA…
Dans le match dès le départ
Les Jujus tiennent bon dans le top ten et se hissent après une traversée tapageuse du golfe de Gascogne à la cinquième place au large de Lisbonne. Décalés dans l’ouest comme le leader du moment, Charal, ils savent que leur position est moins favorable à l’approche de la dorsale qui s’annonce. La flotte semble partir tête baissée pour une longue route vers le soleil. A bord de Teamwork, Julien Villion multiplie les routages qui donnent gagnante une route Nord, entrevue dès le départ. « Pour nous, c’était une évidence. J’ai été surpris de ne pas être plus suivis. Avec le recul, je pense que les équipes qui jouent la gagne aiment bien rester ensembles. S’isoler à une semaine de l’arrivée n’est pas dans leur logique. Mais il faut bien comprendre que si on prend les choses dans le bon sens, ce n’est pas nous qui avons optionné puisque nous avons suivi la route la plus courte ! Prendre des risques, c’est rallonger la route pour espérer aller plus vite. Ce sont les bateaux de tête qui l’ont fait et l’ont d’ailleurs très bien réussi » expliquait Julien à l’arrivée.La face Nord
On ne sait pas encore que les Sudistes vont parcourir 1000 milles de plus que Teamwork en allant chercher les alizés très au Sud. De leur côté, les Jujus lâchent la meute à la latitude de Gibraltar et mettent donc le clignotant à droite. C’est parti pour 1300 milles de près dans le sud des Açores avec d’incessants changements de voile et de rythme. Un chemin tortueux où la vie se passe penché. Teamwork est mis à rude épreuve mais prend la tête du classement dès le 11 novembre. Les Jujus abattent de la route sur un bord nettement plus rapprochant vers les Antilles et leur avance culmine à 300 milles dans la nuit du 12 au 13. A l’arrivée de Fort de France, les vainqueurs Thomas Ruyant et Morgan Lagravière (For People) ainsi que leurs dauphins, avouaient ce matin avoir tous douté en routant Teamwork sur une route annoncée gagnante de 24 heures à son démarrage.Des Sudistes intraitables
Mais au Sud, l’alizé est bien établi, la mer maniable et la cadence s’accélère franchement sur une route enfin rapprochante. Régulièrement, les tenants de l’option du soleil naviguent 8 à 10 noeuds plus vite que Teamwork et le sablier s’inverse. For People reprend la tête du classement le 15 novembre. Le bénéfice final de l’option de Teamwork maintient le suspense encore 24 heures. Mais au passage du dernier front, le plus dur avec 40 nœuds avant d’amorcer leur descente vers Fort de France, les Jujus sont ralentis et doivent aussi faire face à des dégâts matériels.Il faut monter au mât remplacer le chariot de têtière qui empoisonne la vie du tandem depuis le départ, une ascension effectuée par Julien et qui fait perdre deux heures… « Deux heures, c’est 40 milles, ça fait mal mais nous n’avions pas le choix. Ça ne tient pas à grand-chose de faire une meilleure place, mais avec des si, on gagnerait toutes les courses ! » plaisantait Justine, bonne joueuse à l’arrivée. La suite n’est pas un conte de fées mais l’alizé prend enfin de la droite et permet de viser dans les derniers milles la pointe sud de la Martinique sans empanner. Dans un ultime effort, l’équipage de Teamwork enroule la plage des Salines au sud de l’île et fait l’intérieur à Malizia Sea Explorer au rocher du Diamant, la dernière marque de passage symbolique de cette Route du Café.
En terminant sixième, Teamwork met au moins sept IMOCA plus récents derrière lui au classement. Les Jujus ont confirmé sur leur route mal pavée la solidité de leur bateau, l’excellence de la préparation et leur engagement au plus haut niveau. Une très belle façon de terminer cette saison en double avant de penser à 2024, où Justine disposera, après un repos bien mérité, de nouvelles armes pour se battre contre les meilleurs.
Source : L Troel