Kevin Escoffier cumule déjà trois tours du monde en équipage au compteur, dont deux sur The Ocean Race. A la barre de son plan Verdier Holcim-PRB, il caracole aujourd’hui en tête de la troisième étape de l’édition 2022-23. Dans des creux de six mètres et une mer croisée, les « coups de raquette » incessants sur ces coques en carbone d’une incroyable raideur, obligent les marins à se cramponner la plupart du temps aux mains courantes – des bouts tapissant le plafond du cockpit.
Concentré mais dubitatif, Tom Laperche, secoué comme un prunier face à l’ordinateur de bord, et qui découvre le grand Sud, s’adresse néanmoins à Kevin Escoffier : « on n’est pas un peu trop rapide là ? » Et le skipper de lui répondre : « on pourrait aller encore plus vite… tourner à plus de 25 nœuds de moyenne, mais ce n'est pas l’idée. Dans ce coin de la planète et quand tu es à l’arrière d’une telle dépression, il faut savoir où placer le curseur, trouver le bon compromis pour ne pas faire trop souffrir le bateau… » Et d’ajouter : « quand je vois ce qui est arrivé à Benjamin (Dutreux) et son équipage sur GUYOT Environnement - Team Europe, je suis à la fois triste pour eux, et conscient que la route est encore longue et mal pavée… »
Ce début de troisième étape entre Cape Town et Itajaí au Brésil via le cap Horn - la plus longue jamais disputée sur le tour du monde en équipage avec escales – n’est pas une sinécure. Il faut imaginer le coup de stress de l’équipage de Benjamin Dutreux, lorsque la Britannique Annie Lush allant s’allonger après son quart, entend deux sinistres « cracks » puis voit l’une des caisses de matériel arrimée dodeliner, comme si elle était sur un matelas gonflable.
Ce n’est pas une hallucination ! Le fond de coque – un sandwich Nomex carbone - est en train de se délaminer. Très vite, l’équipage sécurise le bateau, pose des lattes de renfort… et met le cap au Nord-Ouest vers l’Afrique du Sud, la mort dans l’âme. Poursuivre la route alors qu’il reste plus de 12 000 milles (plus de 22 000 kilomètres) dans cette situation, n’est juste pas envisageable.
C’est décidément une journée noire. L’équipage de Team Malizia après avoir perdu son code zéro – une voile de portant – qui s’est subitement décroché, a dû le dépecer au couteau pour éviter qu’il n’altère les foils, la quille et les safrans. Pire, le système d’accrochage (le hook) et une drisse, ont déchiré le mât telle une boîte de conserve sur une trentaine de centimètres. Rosalin Kuiper est alors hissée dans le mât afin de prendre des photos, puis les transmettre aux techniciens et ingénieurs à terre pour un premier diagnostic. Le verdict tombe : « oui, l’espar est réparable en mer ! »
Une véritable opération commando se met alors en place, le cockpit de Malizia étant transformé en atelier composite. Malgré une forte houle résiduelle, Will Harris s’attaque au ponçage, à 25 mètres de hauteur. Port du casque obligatoire ! Pendant ce temps-là, les patchs de carbone sont enduits de résine, avant d’être « expédiés » en tête de mât via un vulgaire seau. Il n’y a pas de temps à perdre, car cette résine spéciale durcit très vite, en 25 minutes, et puis le jour décline et des vents d’Ouest sont annoncés pour le lendemain. L’équipage dans le cockpit communique avec Will en Bluetooth. La réparation s’achève à la lampe frontale dans une nuit d’encre.
« Grand respect à Will ! Il fallait beaucoup de courage pour passer autant d’heures dans le mât, de nuit, et avec trois mètres de houle… Maintenant, nous pouvons seulement croiser les doigts et attendre de voir si cela se passe bien ! » raconte Boris Herrmann, le skipper. Et ce 3 mars au matin, Team Malizia est reparti, à seulement 50 milles derrière 11th Hour Racing Team, actuellement second.
Romain Gladu, On Board Reporter de Biotherm, découvre-lui les mers australes : « nous avons pu observer la houle qui commence à se former : hallucinant et clairement flippant pour moi ! Des montagnes qui s’empilent les unes sur les autres, qu’on regarde en levant la tête… Avant de devoir baisser les yeux pour regarder le creux derrière. En tant que surfeur, la vision m’a sciée les pattes, mon cardio s’est emballé, j’étais en mode « feuille morte » sur le pont, cramponné à ma longe. On se sent tellement petit et vulnérable… Et tous les « Vendée-globistes » de l’équipage de me dire : « Bienvenue dans l’Indien. Ce n’est rien ça par rapport à ce qui nous attend. » Voilà, décor planté pour le mois prochain... »
Naviguant désormais dans un système météo différent de ses poursuivants, Team Holcim - PRB s’est échappé sous l’effet de cette première grosse dépression australe. Derrière, Biotherm (Paul Meilhat) et 11th Hour Racing Team (Charlie Enright) ont été rattrapés par une zone de hautes pressions (un anticyclone). Ils sont restés encalminés, malmenés par une longue houle résiduelle, véritable cauchemar de tout régatier. Ce vendredi matin, ils ont enfin touché des vents de Nord-Ouest leur permettant de s’extirper des calmes, et de repartir à la poursuite du leader, naviguant déjà 545 milles devant, à la longitude de Madagascar et à une vitesse constante de près 20 nœuds…
Source : TOR