Les concurrents de The Ocean Race ont vécu un week-end de pure folie dans les cinquantièmes hurlants. Après le franchissement du cap Leeuwin, la chasse au record de distance sur 24 heures a battu son plein. On se serait cru au loto ! Et c’est le leader Holcim-PRB, skippé par Kevin Escoffier, qui a explosé les compteurs, avec 595,26 milles (1101 km) parcourus, à la moyenne vertigineuse de 24,8 nœuds !
Lorsque tranquillement assis derrière son ordinateur, nous découvrons les images tournées par les Onboard Reporters (OBR), nous nous faisons du souci pour les vingt marins vivant à cinq dans une véritable « machine à laver » de 15 mètres carrés. Pourtant, à les voir regarder la cartographie, s’extasier quand le speedo flirte avec les 30 nœuds, hurler de joie en découvrant le nombre de milles parcourus en 24 heures, on se dit qu’ils ne sont pas bâtis comme le commun des mortels. Au pied de sa bannette, cramponné à une main courante, Tom Laperche, équipier sur Holcim-PRB casquette polaire vissée sur la tête, résume assez bien et laconiquement l’ambiance à bord : « Quelle vie dans ces bateaux. C’est quand même bien spécial ! »
Il y a ce sifflement incessant des appendices et l’eau fusant sous la coque, ces trombes d’eau se déversant sur le rouf, et des chocs secs à répétition à se déchausser une dent, quand le bateau lancé à plus de 25 nœuds, semble rebondir comme un hors-bord. Pudiques, les marins encaissent et ne s’épanchent pas… mais on voit bien que parfois dans un choc plus violent, une embardée, ils se crispent, puis fixant la caméra, esquissent un sourire presque gêné. Depuis le passage du cap Leeuwin, rares sont les moments où l’on ne retrouve pas l’adage « une main pour soi et une main pour le bateau ».
Depuis quelques jours, les routages sont assez clairs. Un puissant anticyclone se déplace vers l’est en même temps que la flotte, générant des vents oscillants mais vicieux de secteur nord-ouest de 20 à 30 nœuds. Le ciel est gris, les albatros manifestement ravis de planer autour des 60 pieds. La mer pas encore trop formée, permet aux IMOCA de foncer au reaching (travers), alignant des moyennes ahurissantes en équipage. Les poids ont été reculés, les voiles stockées tout à l’arrière pour soulager l’avant. Le « matossage » est l’ennemi du marin. Il faut transférer des dizaines de kilos de sacs d’un bord sur l’autre, enjamber des varangues, veiller à ne pas se fracasser contre une cloison… A part des changements de voiles, les manœuvres devraient être rares, la météo prévoyant a priori une semaine sur le même bord, bâbord amures. Sous pilote automatique, il y a systématiquement quelqu’un à l’écoute, pour réguler ou choquer (lâcher) en cas de survente. Cette configuration fait que les records tombent, et qu’il n’aura fallu que 14 jours pour atteindre l’est de la Tasmanie depuis Cape Town.
Ayant vu ses poursuivants revenir avant le week-end, et après avoir compté plus de 550 milles d’avance, Holcim-PRB, leader depuis le départ de cette troisième étape, a non seulement établi un nouveau record sur 24 heures, mais s’est reconstitué un petit « matelas » de 154 milles d’avance ce lundi 13 mars au matin. En outre, en franchissant la porte virtuelle (143 degrés de longitude dimanche 12 mars à 17 heures 45 UTC), Kevin Escoffier et son équipage, déjà vainqueurs des deux premières étapes, ont marqué cinq points de plus, confortant leur première place. « Le rythme de ces dernières heures de course a été donné par une offensive en vue de la porte de parcours, synonyme de points pour la troisième étape », explique Kevin Escoffier : « nous avons pris beaucoup d’avance au début de cette étape, mais les autres ont attrapé un front météorologique favorable et il y a presque eu un nouveau départ. Mais nous avons réussi à conserver un peu d’avance, que nous voulions vraiment garder pour le passage de cette porte de parcours ».
Très rapide aux allures portantes, Team Malizia (Boris Herrmann) a franchi la porte en seconde position, et ce lundi matin, précède Biotherm (Paul Meilhat) de seulement 6 milles après plus de 5 600 milles. Les bateaux filent désormais dans le Pacifique et vont rapidement naviguer au sud de la Nouvelle-Zélande, cap sur le Horn.