Thomas Ruyant, à l’entame du 6ème jour de course, est plus que jamais à son affaire, au coeur d’une Route du Rhum.
Du gros temps, de la mer, du gris, des allures contraignantes pour les hommes comme pour les machines, une infinie complexité météo, des concurrents affutés à proximité immédiate, et le stress et l’épuisement que tout cela combiné engendre. Autant de paramètres qui, additionnés en un laps de temps très court, cause chez le skipper Dunkerquois de LinkedOut une douce jubilation. S’il se demande parfois « ce qu’il fait là », la réponse ne tarde jamais à arriver, au détour d’une jouissive accélération, dans l’éclair fugitif d’un rayon de lune ou dans la simple contemplation d’un voilier au meilleur de ses réglages qui bondit sur l’écume et répond au doigt et à l’oeil aux injonctions de son skipper.
Le prix en fatigue et anxiété est exorbitant, et Thomas Ruyant, plus proche que jamais de cette délivrance appelée alizés, gère à l’expérience ses émotions et son physique. Il entre comme lors du Vendée Globe dans cet état mental et physique à nul autre pareil, si propre aux marins du très grand large, fait d’une hyper sensibilité aux éléments, au pouls du bateau, aux respirations de l’océan, combinés à une lassitude extrême, part intégrante de son quotidien, et désormais surmontée par cette puissance mentale inconnue du commun des mortels.
« On est toujours au près serré, sur une mer grosse ». Cette réflexion du matin est devenue la litanie de la course depuis le départ de Saint Malo. S’y ajoute aujourd’hui la tension d’une forte incertitude de route vers les alizés. « Il sont là, pas très loin » murmure Thomas, « Peut-être pour demain. Il nous faut glisser dans un trou de souris, entre centre anticyclonique et dorsale en notre Sud. J’ai beaucoup cogité hier quant à mon choix de route. L’Ouest était tentant, mais aller une fois de plus face à la mer m’a fait mal au coeur pour mon bateau qui tape si violemment face à la houle depuis des jours. C’est fou comme on oublie vite cet inconfort absolu, cette violence. Tant mieux, car on aurait du mal à y retourner. On a tous bien allumé hier derrière le front, tous y compris les bateaux neufs. Ils me surprennent car ce que l’on encaisse est gratiné. Je m’attache à rester au contact de la tête de course car il y a énormément de jeu à venir. Aujourd’hui est malgré tout le bon moment pour récupérer. J’ai dormi une heure, un luxe ! Il va y avoir des zones de transition à négocier, et des petits airs. Des conditions plutôt favorables à LinkedOut. Le soleil fait une timide apparition, comme un clin d’oeil pour nous dire que les belles glissades dans l’alizé approchent. Allez, un gros petit déjeuner, et on continue ! »
Source : TB Press