« Bonjour à tous. Je suis sain et sauf sur un cargo, le M/V MAERSK BRIDA qui va me déposer aux Açores demain matin. Mon Imoca Nexans – Art et Fenêtres a coulé en flamme sous mes yeux. Ce sont tous mes rêves qui se sont engloutis avec lui ». Le récit de Fabrice Amedeo.
Le récit de ces dernières heures.
Lundi matin : tout va bien à bord et je fais une super course. Le bateau vole fort dans les grains et la mer est formée. Soudain, je me rends compte que mon ballast a explosé sur une vague et que j’ai plusieurs centaines de litres d’eau dans le bateau. Je m’arrête pour être en sécurité et je commence à tout vider. À ce moment là, les batteries touchées par l’eau tombent en panne et j’ai un black out complet à bord. Je n’ai plus d’électricité : plus de pilote automatique, plus d’ordinateur, plus d’électronique. Je décide, en concertation avec mon équipe, de faire route prudemment vers Cascais.Lundi après midi : grosse fumée à bord du bateau. Je donne un coup d’extincteur, j’enfile ma TPS (combinaison de survie) j’alerte la direction de course qui demande à un concurrent en Imoca de se dérouter pour me porter assistance en cas de besoin. La fumée finit par s’arrêter. Je décide de reprendre ma route vers Cascais. Je croise James Harayda le skipper de Gentoo qui était venu sur zone pour me porter assistance. Je le remercie et reprends mon chemin. J’assèche complètement le bateau et me prépare à une navigation difficile. Je dors deux heures hier soir pour me remettre de mes émotions puis barre 6 heures cette nuit.
De nouveau 2h30 de sieste puis 7 heures de barre. Peu après 12h30, nouvelle fumée à bord. Suivie d’une explosion. Je retourne dans la cabine à tâtons et parviens à récupérer ma TPS. Mon Grab bag (sac de survie) était resté dans le cockpit. Je retourne chercher mon alliance. Je donne un coup d’extincteur mais rien n’y fait. La fumée n’est pas blanche comme hier mais jaune. Le cockpit se gondole et jaunit. Les embruns d’eau de mer font comme le bruit de l’eau sur une casserole. Je comprends que je vais devoir évacuer. Je préviens mon équipe d’une possible évacuation. Au moment où je raccroche, je suis alors à l’arrière du bateau prêt à déclencher ma survie: un torrent de flamme sort de la cabine et de la casquette. Je suis au milieu des flammes. Je ne peux même pas ouvrir les yeux. Je parviens à pousser le radeau de survie à l’eau et à sauter. Normalement le bout qui tient la survie au bateau est sensé lâcher. Il ne lâche pas. Le bateau, que j’ai eu le temps de mettre à la cap mais qui avance encore poussé par une mer formée, tire la survie qui se remplit d’eau. Je parviens à monter à bord sans la lâcher. Je crois que c’est ici que tout s’est joué et que les choses ont basculé du bon côté. Je me dis « si tu veux vivre tu as quelques secondes pour trouver le couteau et couper ». L’Imoca me tire à lui. Les vagues me ramènent dangereusement à lui. Je trouve finalement le couteau et coupe. Mon radeau dérive sous le vent de l’imoca qui est en flammes. Il va mettre 30 minutes à sombrer. Je lui ai parlé et l’ai remercié. Nous devions faire le tour du monde ensemble dans deux ans.
Ensuite il faut s’organiser. Le téléphone satellite n’a pas aimé l’eau du radeau et ne fonctionne pas. Je me dis : « personne ne sait que le bateau a coulé et que tu es dans ton radeau, si tu coupes la balise de ton imoca que tu as pu emmener et que tu déclenches celle du radeau ils auront l’info ». C’est ce que je fais. Je ne trouve pas d’écope à bord. Un Tupperware contenant des piles va me sauver. Je vide le radeau. Commence l’attente. Je me mets en arrière du radeau pour qu’il ne se renverse pas. La mer est très très formée. Je fais le point sur le matériel à bord et me prépare à la suite. Je rassemble les fusées. Mets la VHF autour de mon cou. Je passe trois à quatre heures dans ce radeau. Je suis étonnamment serein. Au ras de l’eau. Le radeau se remplit régulièrement d’eau des vagues qui déferlent légèrement. J’écope mais me sens en sécurité. Je sais pourtant que rien n’est joué.
Toutes les 30 min, pour épargner les batteries, je lance un appel Mayday à la VHF. J’ai pris la VHF du bord grâce à Éric mon Team manager qui a eu le temps de me donner ce conseil juste avant que je ne raccroche. Je garde les batteries de celle du radeau pour la suite.
Au bout d’un moment une voix me répond. Un cargo qui se trouve à 6 milles de ma position arrive sur zone. Je suis rassuré mais ne vois pas comment je vais monter à bord d’un tel mastodonte avec cette mer. Je suis en contact permanent à la VHF avec le capitaine qui ne me voit pas : la mer est formée, il a le soleil dans les yeux et je suis un minuscule point orange. Il m’a dit tout à l’heure « you are alive because you told me : I am approximatively 2 milles from your star board side ». Je suis à environ deux milles de votre côté tribord. Je percute une fusée de détresse. Il me voit. Il me perd. J’en percute une deuxième. Il me voit et arrive sur zone. Il tente une première approche qui échoue. C’est très impressionnant d’être dans mon radeau pneumatique à quelques mètres de ce géant d’acier. Il s’excuse à la VHF et repart pour une approche. À son passage la mer se hache, le radeau se remplit abondamment d’eau. Il se repositionne à mon vent, à quelques mètres, c’est dingue, et dérive vers moi. Cet immeuble calme un peu la mer et m’aspire. Le radeau frotte contre la coque de l’avant vers l’arrière. Si ça ne marche pas, la suite va être compliquée. L’équipage me lance des cordes que je ne parviens pas à récupérer dans un premier temps.
Finalement j’y parviens. J’en récupère une proche de la proue du navire. Tout se joue sur le fil. Il y a l’épaisseur du trait entre la réussite et l’échec, la survie et le drame. L’équipage me tire vers un escalier qui a été descendu. Avec les vagues je monte parfois au niveau de l’escalier puis redescends 5 mètres en dessous. C’est la dernière épreuve. Si la survie passe sous l’escalier elle va être percée et moi je vais être projeté à l’eau. Je m’approche. Une première fois : je ne la sens pas. Une seconde vague, je monte et hop je saute sur l’escalier que j’atteins puis me retrouve dans les bras d’un homme casqué. Je remonte sur le pont.
Je suis accueilli par une une vingtaine de membres d’équipage. C’est fou ce moment. Ils me prennent dans leur bras, me félicitent. Avant que je n’ai eu le temps de dire ouf, ils m’emmènent dans une salle, j’ôte pas combinaison de survie. « Mais tu es sec » hallucinent-ils. Oui oui nous sommes équipés sur nos bateaux de course ! J’ai pris une douche et ai mis une tenue de l’équipage.
C’est une fois à bord du cargo que la peur et l’adrénaline sont venus. Mes jambes tremblaient. C’est fou cette capacité animale qu’a l’Homme à gérer une situation de survie. Et puis ça retombe. La mort n’a pas voulu de moi aujourd’hui ou plutôt la vie n’a pas voulu que je la quitte. Je suis dévasté mais le plus heureux des hommes car ce soir ma femme et mes filles ne vont pas se coucher en pleurant.
À la sortie de la douche je suis reçu par le capitaine et son second. Nous tombons dans les bras les uns des autres. Ils ont aussi les jambes qui tremblent me disent- ils.
Cette aventure n’altère en rien ma passion pour mon métier et pour l’océan.
Je remercie mon équipe, la direction de course de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe, les équipes de secours, qui ont oeuvré pour que cette opération de sauvetage se déroule dans les meilleures conditions possibles.
Je pense aussi à mes partenaires. Je les remercie de leur confiance. Je vais rebondir. Nous allons rebondir.
Récit de Fabrice Amedeo