La tension se fait plus palpable sur les quais et les pontons de la Cité Corsaire. À moins de trois jours du grand départ, les 138 solitaires prennent toute la mesure du défi qui les attend sur cette 12e Route du Rhum - Destination Guadeloupe. L’impatience d’y aller, le trac lié à l’envie de bien faire, mêlé aux appréhensions, voire la peur que lèvent les dernières prévisions météorologiques, sont réels. Autant de sentiments qui se mélangent et se renforcent à l’approche du lever de rideau sur ce face-à-face avec l’océan, annoncé à la hauteur de sa réputation.
Un départ costaud
« C’est un parcours mythique mais aussi technique et complexe, car il faut sortir de la Manche. À cette époque de l’année, des grosses dépressions viennent vers nous comme on le voit dans la situation actuelle. Il faut gérer au mieux la prise de risque en fonction de la force du vent et de l’état de la mer pour descendre vers le sud avec le moins de dégâts possibles, » souligne Giancarlo Pedote (Prysmian Group), qui connaît la route et son bateau. Comme ses concurrents de la catégorie IMOCA, ces monocoques taillés pour le tour du monde en solitaire, il figure sans aucun doute parmi l’un des mieux armés pour faire le dos rond et affronter le gros temps.Côté météo, les derniers fichiers laissent peu de doutes sur la teneur du début de course. Ce sera costaud, et assurément rugueux. Avec un système dépressionnaire bien installé sur l’Atlantique, c’est au rythme d’une succession de fronts qu’il faudra plonger dans le grand bain. Du près musclé d’entrée de jeu et un golfe de Gascogne fidèle à sa réputation composent un scénario météo qui pourrait se dégrader nettement lundi sous l’effet d’une dépression creuse générant un front froid très actif. De quoi laisser planer la menace « de vents de 50 à 55 nœuds dans le nord de la perturbation et des creux de 6 à 7 mètres vers lle arge pour la journée de lundi, » indique Cyrille Duschene de Meteo Consult dans son bulletin du jour. Et « mettre les marins à rude épreuve, » ajoute ce matin le prévisionniste. « Dès Ouessant, et même avant, il y a de la mer et des conditions de vent qui sont celles d’un mois de novembre. Il n’y a pas de surprise. La Route du Rhum - Destination Guadeloupe a écrit son histoire avec ces conditions. Je souhaite à tous les concurrents le meilleur, j’aurais préféré une meilleure météo, il n’empêche que je ne suis pas inquiet de leur savoir-faire, » complète de son côté Francis Le Goff, directeur de course.
Impatience, peur
Pour autant, quelle que soit l’intensité de ce coup de chien, c’est bien sous le signe d’une navigation au louvoyage dans la brise et sur mer très formée que débutera cette 12è Route du Rhum - Destination Guadeloupe. « Dès la première nuit, il faudra faire face à la tempête. Je me sens prêt pour ça. J’attends avec impatience d’avoir une idée plus précise des options qui s’offrent à nous afin de faire les bons choix, ne pas casser le bateau et tout donner. Il faut parfois savoir ménager nos multicoques et donc ralentir pour bien gérer, » indique Éric Peron (Komilfo). Pour sa première participation, ce fin expert de la navigation en solitaire compte aussi sur son bateau « le plus marin, le plus 4X4 avec ses coques les plus volumineuses. Dans du vent fort et de la mer formée, c’est un atout, » se rassure-t-il à quelques jours du coup d’envoi dans la classe des huit Ocean Fifty, la plus engagée de toute la flotte hétéroclite. « J’ai peur, mais je vais être à 200% dimanche et faire un beau départ parce que j’adore ça. J’aurai tous ces marins que j’admire autour de moi, je viens pour ça, » souligne quant à lui Arthur Le Vaillant (Mieux), paré à faire son plongeon à bord de son Ultim 32/23 dans cette course qui a bercé son enfance.Du côté des 55 Class40, des 12 Rhum Mono et des 17 Rhum Multi, la joie de bientôt réaliser un rêve pour une grande première, le plaisir de revenir pour prendre sa revanche ou rééditer au chapitre du coup d’éclat sont les motivations qui se compilent malgré la peur de se lancer. Elles sont autant de moteurs que partagent les 138 protagonistes de cette 12e Route du Rhum - Destination Guadeloupe. Sur son parcours simple inscrit sous le signe de la liberté, l’escale technique et l’assistance y sont autorisées, laissant toujours l’opportunité à chacun de tracer sa propre trajectoire. Et sa propre histoire…
Francis Joyon (Idec Sport, Ultim 32/23) : « La concurrence est plus relevée avec plusieurs bateaux qui existaient il y a quatre ans et ont été mis au point et les nouveaux qui ont tiré les enseignements. La concurrence sera plus rude. Par rapport aux conditions attendues, j’ai de la curiosité plus que de l’appréhension. Est ce que ce sera plus fort que ce que j’ai déjà connu au près ? Ce sera intéressant à voir ! Entre casser, parce qu’un bateau est trop neuf et pas assez éprouvé comme peuvent l’être mes concurrents, et casser parce qu’il est trop vieux et que le matériel est d’origine comme le mien, la question reste ouverte… »
Roland Jourdain (We Explore / Rhum Multi) : « Les conditions au moment du départ seront toniques, mais pas dramatiques. La première après-midi devrait bien se passer. Le questionnement, c’est sur le passage de la pointe bretonne. On devrait avoir 6 mètres de houle assez rapprochée, avec un fort courant de marée. Globalement, les coureurs pensent tourner à gauche à ce niveau-là pour aller chercher le moins de mer possible dans le golfe de Gascogne. We Explore n’a pas encore affronté ce type de conditions mais je me poserais les mêmes questions si je naviguais sur n’importe quel autre bateau de la catégorie Rhum. Je vais rester à l’écoute des éléments et d’un éventuel consensus avec les coureurs de la catégorie. On verra bien comment les choses évoluent d’ici dimanche ».
Manuel Cousin (Groupe Sétin / IMOCA) : « C’est La Route du Rhum, nous allons encore écrire une page de son histoire. La météo va être difficile dans les premières 48 heures au moins. La Route du Rhum a toujours été un peu compliquée au départ. C’est l’Atlantique nord en novembre, on ne peut pas vraiment espérer autre chose. C’est logique que les dépressions passent. A nous de les gérer, nous avons des bateaux faits pour mais il ne faut pas faire de bêtises car le moindre problème technique peut vite être compliqué à gérer. Après ces premiers jours difficiles, on devrait pouvoir se faire bien plaisir. »
Source : M Le Berrigaud