Inutile de lui demander son objectif. Armel Le Cléac’h fait partie de ces skippers qui ne prennent un départ de course que pour la remporter. Et quand il n’y parvient pas, il y revient, généralement plus fort. Après son accident en 2018 - le bras avant de Banque Populaire IX s’était brisé et il avait chaviré -, Armel a remis le pied à l’étrier. Affûté comme jamais, il s’est donné toutes les chances d’inscrire la Route du Rhum - Destination Guadeloupe à son impressionnant tableau de chasse…
En quatre ans, il s’est passé beaucoup de choses, Armel. Comment te sens-tu à un peu plus de quatre jours du départ ?
Je me sens confiant parce que nous avons réussi à mettre en place un projet qui nous correspond. Après l’accident de 2018, on a lancé une nouvelle aventure : deux ans de construction, un an et demi de préparation. Aucun problème important n’est venu nous freiner. La feuille de route a été tenue en terme de milles parcourus, 40 000 milles dont quatre transatlantiques, une en faux-solo et une autre pour moitié en vrai solitaire, c’était ma qualif’. Ce sont des milles qui n’ont pas de prix sur ces bateaux. Banque Populaire XI est très différent du précédent sur la structure mais nous avons aussi pu profiter des avancées technologiques car en deux ans, tout est allé très vite dans le domaine des bateaux volants. Au final, cet Ultim a un comportement totalement différent de Banque Populaire IX et je me sens très en confiance dessus.
Gitana qui est LE bateau à battre, vient de changer ses foils. C’est plutôt pour te rassurer car ça veut dire que vous l’avez aiguillonné ?…
Pendant les deux années de construction, les autres ne nous ont pas attendus. Notre objectif était de combler le retard. Toute l’équipe a énormément travaillé et sur la Finistère Atlantique cet été, nous avons navigué sept jours en équipage dans toutes les conditions à tirer sur les bateaux et nous étions à vue tout le temps. Un match-race de dingue ! Donc, je pense qu’aujourd’hui, nous sommes à leur niveau et j’ai un bateau qui peut gagner la Route du Rhum. Mais je ne suis pas le seul !
Tu t’attends à un très gros rythme dès le départ ?
Ça va sans doute être un peu la guerre oui ! Faire du solo en Ultim de toutes façons, c’est un engagement encore plus élevé que tout ce que j’ai pu faire par ailleurs. Ça demande une concentration, une anticipation et un engagement physique sans égal. Le fait de connaitre la machine soulage cette pression et les pilotes ont énormément progressé. A 35, 40 nœuds avec de la mer, quand c’est chaud, bien sûr que tu ne vas pas dormir. Mais on n’a besoin que de 18 nœuds pour aller à 40, donc il y a des moments plus faciles et là, il faut aller dormir. Ça je sais le faire, j’ai appris. Je suis assez cartésien, ce qui me fait partir à 200%, c’est la préparation de l’équipe et mon expérience. 13 Solitaires du Figaro, 3 Vendée Globe, c’est un bagage et je veux m’en servir.
Naviguer dans une grosse dépression hivernale sur ton bateau, tu l’as déjà fait ?
On est allé chercher 35/40 nœuds, on sait que ça passe. On sait trouver le bon réglage pour calmer le bateau. Si tu me parles de 45 nœuds avec 6 mètres de vagues au près, non…Il y a quatre ans ceci dit, il y avait 35-40 nœuds établis, cinq à six mètres de mer. Je savais qu’il fallait tenir 12 heures comme ça et avant l’accident, ça allait. Sur nos bateaux, on peut naviguer en cat-boat, sans voile d’avant, avec juste trois ris. Et l’avantage avec ces foils, c’est qu’on navigue toujours à plat. Avant de lever et d’engager fort, il faut y aller. J’ai déjà chaviré avec un Ultim, donc je sais que c’est possible, mais ce n’était pas les mêmes bateaux ni les mêmes foils.
Tu embarques combien de jours de nourriture ?
Sept ! On peut sans doute arriver en six jours. Un routage nous a même emmené là-bas en cinq jours et demi, mais c’ était une météo improbable, je n’y crois pas une seconde. Entre sept et huit, c’est possible. Au delà, il faudrait une météo vraiment foireuse, mais ça n’a pas grande importance. De toutes façons, je me force à ne regarder les fichiers qu’à partir de mercredi !
Ton appréhension ?
Peut-être d’arriver, à deux, trois ou quatre bateaux en Guadeloupe… On n’est pas à l’abri puisque six d’entre nous peuvent gagner. Là tu joues quatre ans de boulot sur 20 milles dans un mode « pièce en l’air ». En fait, sur ces bateaux qui marchent à 30 nœuds, il faut 10 heures d’avance pour être tranquille, 300 milles. Si tu n’a pas 300 milles d’avance à la Tête à l’Anglais, tu n’as pas gagné, tu n’es pas serein.Source : RDR