Enchaînement d'avaries sur Macif, Francois Gabart et Gwénolé Gahinet terminent second de Brest Atlantiques

Après 31 jours 20 heures 43 minutes et 50 secondes de mer, François Gabart et Gwénolé Gahinet ont pris la deuxième place de « Brest Atlantiques ». Le trimaran MACIF a coupé la ligne d’arrivée au large de Brest samedi à 7h43’50’’, 2 jours 21 heures 19 minutes et 4 secondes après le vainqueur, le Maxi Edmond de Rothschild, il aura parcouru 17 890 milles, à 23.4 noeuds de moyenne. Actual Leader (Yves Le Blevec/Alex Pella) est attendu en fin de matinée pour compléter le podium. Les mots à l'arrivée.


Crédit : A Courcoux


Quelle saveur a cette deuxième place ?

François Gabart : Elle fait plaisir parce que ce n’était pas gagné, cette histoire. Nous avons eu des petits soucis, il a fallu se battre jusqu’au bout. Ça aurait pu s’arrêter bien avant. On a perdu un bout de dérive au Cap Vert, un safran avant Rio, un autre safran après Rio, un foil après Le Cap, on a six appendices, on a tapé quatre fois, à un moment, on n’a plus trop d’appendices pour diriger le bateau, donc c’est déjà cool d’être arrivés à Brest et d’avoir pu jouer la deuxième place. On aurait évidemment aimé jouer la première, mais ce n’était plus possible. Par contre, nous avons eu le plaisir d’avoir une autre compétition avec Actual Leader et on s’est régalés ces dix derniers jours dans ce jeu qu’on a eu avec eux.

Pouvez-vous revenir sur l'enchaînement des avaries ?

François Gabart : Au large du Cap vert, au quatrième ou cinquième jour de course, on tape et on perd le safran central. On continue à naviguer sans, en prévoyant une escale à Rio où l’équipe à terre a récupéré le safran de Banque Populaire après l’avoir modifié. Deux ou quatre heures avant d’arriver à Rio, on tape à nouveau et cette fois la dérive. Là, on a perdu tout le bas de la dérive, le plan porteur et environ 20-25% de dérive. A Rio, on constate les dégâts, on la sort, on voit qu’on ne peut pas repartir avec la dérive telle quelle, mais on ne peut pas non plus faire grand-chose parce qu’on a anticipé, sinon il aurait fallu rester cinq jours à Rio, donc l’équipe l'a découpée et on est repartis avec trois quarts de la dérive de base et une découpe assez sommaire, qui n’a pas super bien tenu, dans le sens où, 24-48 heures après être repartis de Rio, dans des conditions assez délicates, toute la peau bâbord de la dérive s’est arrachée. Donc en bâbord amure, on s’est retrouvés avec une petite dérive qui ne marchait pas très bien. Quelques jours après, vers Gough Island, on retape le safran central qu’on avait mis à Rio, donc on le reperd. Et quelques heures après, et ça, c’était assez inconfortable, on a perdu la connexion entre la barre et le safran de flotteur tribord, ce qui fait qu’on s’est retrouvés à un moment donné sans safran central ni safran tribord dans une mer assez difficile. On a fini jusqu’au Cap avec juste le safran de flotteur au vent, c’était un peu bizarre comme navigation. On s’est ensuite arrêtés au Cap, soit on attendait une semaine pour récupérer un safran central, soit on repartait sans, on a pris la décision de repartir sans, l’équipe a quand même continué à travailler sur le sujet en se disant qu’on pouvait éventuellement en remettre un sur une escale à Recife, au Cap Vert ou aux Açores. Et 48 heures après être repartis du Cap, on a tapé le foil tribord : le bord d’attaque du foil et tout le système de rake se sont arrachés, on avait aussi de l’eau qui rentrait. C’était le quatrième impact. Dans notre malheur, on a eu la chance que même si à ce moment-là, on était dans dans du bâbord amure au large de la Namibie, on savait que pour remonter jusqu’à Brest, il y avait 70-80% de tribord, donc qu'on allait être moins impactés. Mais sur les quelques bords bâbord, on a beaucoup perdu par rapport à Actual, notamment après la Namibie, on n’avait plus d’appui sur le foil.

Le bateau était-il compliqué à mener ?

François Gabart : Oui, il n’était pas simple à mener et c’était hyper frustrant, parce que tu as un bateau capable d’aller super vite à l'entraînement et là, il n’avance pas. C’est dur, parce que déjà, ce n’est jamais agréable d’abîmer un bateau, ensuite, c’est frustrant et c’est quasiment depuis un mois que c’est comme ça. Cette frustration a été super dure à vivre.

Gwénolé Gahinet : On peut dire un grand merci à toute notre équipe, parce que c’est aussi grâce à elle qu’on a aussi tenu. Ils en ont bavé avec toutes ces avaries. A chaque nouvelle avarie, ça prenait des allures de mission spatiale en sauvetage. On leur disait : « On a encore cassé, comment on fait ? ». Ils imaginaient des procédures de réparation, de pompage, de changement de safran en allant en récupérer chez les autres équipes, ça a été assez intense pour eux et on peut leur dire un grand bravo.

Qu’est-ce qui vous a fait malgré tout continuer ?

François Gabart : Tout simplement l’envie de revenir à Brest. Et mine de rien, il y avait quand même du jeu avec Actual. Ce n’était pas simple mais on voyait qu’on pouvait naviguer jusqu’à Brest avec un niveau de sécurité satisfaisant et jouer cette deuxième place, on n’a pas de regrets, parce que nous sommes allés la chercher, nous sommes contents et très fiers de cette deuxième place.

Est-ce pour une éventuelle escale à Recife que vous avez choisi cette option à l’ouest en Atlantique Sud ?

François Gabart : Non, on ne la prend pas pour ça, mais c’est vrai que c’est un élément en plus, on sait à ce moment-là qu’il y a huit ou neuf chances sur dix qu’on ne s’arrête pas.

Avez-vous des regrets au niveau stratégique et météo sur cette option osée ?

François Gabart : Nous n’étions pas très nombreux. S’il y a cent bateaux et qu’il n’y en a qu’un qui fait quelque chose de différent, ça peut être un peu osé, là, on était trois dont Gitana qui était déjà décalé et avait une trajectoire assez logique de par sa position, donc finalement, on était juste avec Actual, ils étaient un peu en avance sur nous, un est parti à droite, l’autre à gauche, je pense qu’on a gagné.

Gwénolé Gahinet : L’option était bonne, bravo à notre équipe de routage qui nous a vraiment bien conseillés là-dessus. Ce n’était pas évident. On a passé trois-quatre jours où on investissait vraiment dans l’ouest, on ne s’approchait pas vraiment de Brest, c’était un peu dur de tenir le cap au début de cette option, mais au final, ça a bien payé. C’était une petite fierté que ça passe.

Les quelques jours dans une mer de face après Rio ont-ils été difficiles à vivre ?

Gwénolé Gahinet : Oui, on a eu quelques jours vraiment durs, c’était dur de voir le bateau souffrir comme ça, ce ne sont pas vraiment des bateaux faits pour le près et il y en avait pas mal dans de la mer vraiment horrible. En plus, c’était compliqué de trouver la bonne vitesse pour ne pas trop faire souffrir le matériel, on était quelque part un peu obligés d’aller vite, parce qu’on avait besoin de rester en avant de la dépression. Au niveau de la vie à bord, c’était vraiment inconfortable. On était contents d’attaquer une portion plus sympa après.

De par son parcours et sa longueur, « Brest Atlantiques » était-elle une course difficile ?

François Gabart : Oui, ce n’était pas une course simple, parce que nous avons eu des conditions compliquées, nous n’avons d’ailleurs pas été très très vite. Par contre, il y avait des contraintes, à Rio, au Cap, si bien qu’on s’est retrouvés à naviguer dans des endroits pas simples. S’il n’y avait pas eu le passage à Rio, je pense qu’on aurait peut-être trouvé des trajectoires un peu plus faciles. C’était un parcours difficile, mais je pense que pour la classe Ultim 32/23 dans sa globalité, c’était intéressant, nous avons appris beaucoup de choses.

Les « Ultim » ont-ils franchi un palier ?

François Gabart : Je reste persuadé que ces bateaux, malgré toutes les avaries, sont d’une fiabilité extraordinaire. Si la course s’était arrêtée au Brésil, il y aurait eu quatre bateaux qui auraient terminé, et on n’aurait pas entendu parler de « T board » (plan porteur de dérive), ça serait passé comme une lettre à la porte et on aurait traversé tout à 30 nœuds. Ces bateaux sont capables de naviguer super vite longtemps, on peut faire des tours du monde avec, voler au large avec des vitesses folles, après, forcément, quand on va aussi vite et aussi longtemps, il arrive de petites histoires, c’est aussi le jeu de la course au large.


Source : BAtlantiques