Entre Le Havre et Salvador de Bahia, les IMOCA ouvrent un nouveau chapitre de leur Histoire. Les derniers bateaux volent réellement. La variété des voix architecturales explorées est sans précédent, la promesse de performances ahurissante, mais le comportement océanique des nouveaux foilers encore incertain. C’est pourquoi la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre sonne comme un premier verdict.
Crédit : M Horlaville
Le plus beau plateau de l’histoire de l’IMOCA
Souvenez-vous, c’était il y a quatre ans. Sur les 20 IMOCA au départ de la douzième Route du café, cinq nouveaux prototypes signés VPLP-Verdier portaient des foils. Un an plus tard, le podium du Vendée Globe est trusté par trois foilers.Cette année, ils sont 16 sur les 29 IMOCA à s’élancer. Premier 60 pieds réellement conçu pour voler en 2018, Charal (Jérémie Beyou, Christopher Pratt) est le plus abouti, même s’il n’a jamais traversé l’Atlantique. Quatre nouveautés mises à l’eau en fin d’été viennent s’y confronter : Advens for Cybersecurity (Thomas Ruyant, Antoine Koch), Apivia (Charlie Dalin, Yann Eliès), Hugo Boss (Alex Thomson, Neal Mc Donald) et Arkea Paprec (Sébastien Simon, Vincent Riou). Cinq bateaux, trois architectes différents, la donne change. Après avoir convolé, VPLP et Verdier sont concurrents. Le premier cabinet a signé Charal et Hugo Boss. Le second Apivia et Advens for Cyberscurity alors qu’Arkea Paprec sort de l’ordinateur de Juan Kouyoumdjian.
Une telle variété change la donne de l’IMOCA qui a toujours fonctionné par vagues dominantes (Finot-Conq, Farr Yacht Design, VPLP-Verdier…). Les différences de coques et de pont interrogent et le niveau de finition est un régal pour l’œil. « Ces bateaux qui sont longtemps restés virtuels sur les photos, les vidéos, on les découvre aujourd’hui au Havre » apprécie Morgan Lagravière. Pionnier en 2015 sur Safran, le premier des cinq VPLP-Verdier, il embarque cette année aux côtés d’Isabelle Joschke sur MACSF. Cet IMOCA de 2007 a été remis au goût du jour avec des grands foils tout comme Initiatives Cœur (Sam Davies, Paul Meilhat). Ce qui fait dire à Kevin Escoffier sur PRB (équipé lui de foils 2018) qu’il faut aujourd’hui « aborder le plateau non pas en générations de bateaux mais en générations de foils ».
La transmission de l’énergie
Quand les IMOCA traditionnels gîtent, les foilers accélèrent à plat, transformant l’énergie comme des multicoques dont ils ont peu ou prou les polaires de vitesse. Alex Thomson prétend qu’ « Hugo Boss marche à 30 nœuds par 18 nœuds de vent » et les courses d’avant-saison ont montré qu’à certaines allures, l’écart de vitesse peut atteindre 4 à 5 nœuds. Certains parient sur un abaissement de 48 heures du record en IMOCA… Les angles changent et les trajectoires pourraient être plus variées. Voilà pour la théorie. Car en pratique, les foilers se sustentent, cabrent et retombent dès que l’équilibre est rompu, la faute au manque d’appui sur l’arrière. Puisque la jauge interdit (pour l’instant) les plans porteurs sur les safrans, les IMOCA sont « comme des tabourets auxquels il manquerait un pied » dixit Michel Desjoyeaux.Les nouveaux foilers sont des bateaux impulsifs. Ils sollicitent la structure et les gréements qui restent monotypes, calculés en 2013. « Plus tu voles haut, plus l’atterrissage est violent ! … » prévient Alex Thomson. Pour Kevin Escoffier : « Le maître mot reste la polyvalence. Le vainqueur demain, c’est celui qui saura adapter son mode de vol aux conditions : Voler haut quand c’est facile, en avant d’un front pour accélérer par exemple et savoir calmer le jeu en mode skimming au ras de l’eau quand les conditions ne permettent plus d’attaquer fort. »
L’éducation au comportement et à la vitesse
Après sa déconvenue de la Route du Rhum, le team Charal a mis plus de six mois pour dompter la bête. « La route a été longue raconte Jérémie Beyou. L‘état de préparation et de confiance de Charal aujourd’hui est le résultat d’une année laborieuse. Etre laborieux, c’est vertueux. On essaie, on tente, on ré-essaie… pour finir par trouver les solutions »Le gap qui sépare une mise à l’eau de la pleine maîtrise d’un IMOCA n’a jamais été aussi important (et couteux). D’où l’importance du timing pour briller sur une grande course comme la Route du café. D’où l’arrivée de binômes complémentaires où la transmission générationnelle fait sens : Dalin-Eliès, Simon-Riou, Thomson-Mc Donald… D’où le jeu très ouvert qui pourrait bien voir s’inviter d’anciens foilers sur le podium, nous en reparlerons demain.
L’éducation au foil, c’est aussi l’acclimatation aux hautes vitesses. «Les impacts se déplacent vers l’arrière, on ne peut plus s’en affranchir et le niveau d’humidité est toujours plus élevé » explique Yann Eliès. Le niveau de protection des cockpits n’a donc de cesse d’augmenter. Les casquettes s’étirent vers l’arrière, Apivia a construit une cahute complète autour du cockpit, une zone a carrément disparu sur Hugo Boss. Stupéfiant ! Chacun défriche et l’Histoire continue de s’écrire entre Le Havre et Salvador de Bahia.
Charlie Dalin (Apivia)
« Je crois que c’est bien de conserver un fond de stabilité de carène. Les plans VPLP ont tout misé sur le foil. La démarche que nous avons eu avec Guillaume Verdier est de miser sur la polyvalence. Le but ce n’est pas d’être le plus rapide en instantané, c’est de ralentir le moins possible le bateau dans la mer et d’avoir une vitesse régulière et élevée».Morgan Lagravière (MACSF)
« Ces bateaux qui sont longtemps restés virtuels sur les photos, les vidéos et les réseaux sociaux, on les découvre aujourd’hui au Havre. C’est magnifique ! Après, il faut voir dans la vraie vie au large. On s’attend de plus en plus à avoir des conditions météo variées. C’est beau d’aller vite au portant mais sur une transat il faut aussi faire du près. »Roland Jourdain (Maître CoQ IV)
« En matière de foils, il y a les moineaux comme nous et les derniers bateaux qui sont plutôt albatros ! C’est extrêmement long de tirer la quintessence de ces machines. Dans ce domaine, Charal a poussé l’exigence très loin. J’espère qu’on va avoir une vraie Jacques Vabre, avec du près et de la brise. Nous avons encore moins de marge d’erreur que les autres et nous n’avons pas droit à l’erreur »Source : S Gueho