Jeudi, il a remporté le Vendée Globe 2016 - 2017. Après Vincent Riou, Michel Desjoyeaux et François Gabart notamment, c'est au tour d'Armel Le Cléac'h d'entrer dans la légende de cette course mythique. Trois tours du monde bouclés, deux fois deuxième, aujourd'hui le skipper du monocoque Banque Populaire triomphe. Mais pas le temps de souffler pour le marin depuis l'arrivée !
Credit : V.Curutchet/DPPI/VG
La première nuit dans un vrai lit
Elle a été courte (rires), car on a fêté la victoire assez tardivement et beaucoup dansé. Avant, il y a eu les interviews, le podium, un vrai repas frais, la conférence de presse, une bonne douche. Ce matin (hier), les rendez-vous avec les journalistes ont commencé tôt, et ensuite je suis allé accueillir Alex Thomson (Hugo Boss). Mais c’est une nuit qui a fait du bien. Il n’y a pas eu besoin de me bercer… C’est le réveil qui a été plus compliqué !
Le suivi de l’actualité
On m’envoyait des news à bord. J’avais un petit résumé de la semaine, que ce soit pour les actualités générales et les résultats sportifs. J’ai notamment suivi les élections américaines (avec effroi), l’attentat de Berlin et la mort de Fidel Castro. J’ai été rassuré qu’il n’y ait pas eu de nouveau drame national comme ce qu’on a connu à Paris ou Nice.
C’est important même sur un Vendée Globe de ne pas se couper de la réalité. On a des moments où l’on peut prendre cinq minutes pour lire un mail ou aller sur Internet. J’allais sur le site du Vendée Globe, sur celui de Voiles et Voiliers lire l’analyse de Dominique Vittet… ou sur d’autres sites où chacun y allait de son option. J’ai parfois lu d’ailleurs pas mal de bêtises.
Les loisirs
J’ai écouté un peu de musique, mais beaucoup de podcasts comme « Les Grosses Têtes. » Il y a de l’ambiance et des gens qui parlent. Car s’il n’y a jamais vraiment de silence à bord, par moment tu éprouves de la monotonie, et moi j’ai besoin d’avoir un fond sonore. J’ai cette chance de ne pas être gêné par le bruit assourdissant de nos bateaux.
J’ai aussi regardé des séries (The blacklist et Band of Brothers). Ces fictions à partir d’événements historiques et dramatiques permettent de relativiser. Tu n’as pas à te plaindre si c’est dur ou si tu n’y arrives pas.
L’entourage
J’appelle ma femme et mes enfants (âgés de 9 et 5 ans) très régulièrement. Ça dépend de l’ambiance à bord. Si c’est très bruyant, c’est compliqué d’avoir une bonne qualité de son. On ne s’entend pas bien, les enfants ne comprennent pas… et là c’est pire que de ne pas les joindre. On a fait aussi quelques visios sur Skype pour se voir physiquement à l’occasion d’un anniversaire, ou pour Noël… Quand tu es seul en mer, non seulement, ça fait du bien mais ça te remet aussi en face de certaines réalités.
Le meilleur souvenir
C’est l’arrivée bien sûr ! Je me dirige à l’étrave de Banque Populaire à quelques centaines de mètres de la ligne, et là je me dis « c’est bon, t’as gagné ! ». Je lève les bras ! C’est un sentiment énorme, un soulagement, un moment indescriptible de plénitude.
Le pire souvenir
Quand j’apprends que les hooks (crochets dans le haut du mât tenant les voiles) sont sous dimensionnés, et peuvent se rompre à tout instant après le bris de celui du J1 (le grand foc). Là, je me dis que la course est compromise et que du pacifique Sud aux Sables, je vais naviguer avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
L’émotion
Je suis toujours dans l’émotion de l’arrivée, même si ce n’est pas la même que sur la ligne où j’étais partagé entre l’envie de pleurer et une immense joie. C’est très fort, car c’est incroyable de gagner le Vendée Globe. Je n’ai pas eu cette chance il y a huit et quatre ans avec de belles deuxièmes places. Comme on dit, seule la victoire est belle ! Et là, je mesure ma chance de l’avoir remportée avec toute une équipe et un sponsor magnifique. On s’est donné les moyens. C’était l’objectif clairement annoncé. L’émotion est donc à la hauteur de cette réussite.
La remontée de l’Atlantique
Elle ne m’a pas du tout été favorable ! L’anticyclone : je me suis dit bon ok ! Il va me reprendre 600 milles, c’est bon ! Le Pot-au-Noir : ok ça ne marche pas, c’est bon ! Puis après il y a eu cette zone de transition après les Canaries : là, je me suis dit que ce n’était pas possible ! J’ai la « scoumoune »… Et pour finir on fait le tour quasiment par le Fastnet. Je me suis demandé si on n’allait pas aller tutoyer les icebergs.
Alex Thomson
Il m’a clairement poussé jusqu’au bout, jusqu’à quelques heures avant l’arrivée. Ça a été compliqué et la bagarre a été intense. La descente de l’Atlantique a été très rapide. Alex a prouvé son potentiel de vitesse et a su faire la différence. Il a fallu que je m’accroche face à ce train d’enfer qu’il imposait. Alex m’a mis beaucoup de pression. Je sentais qu’il ne lâchait rien non plus. Il a fini 3ème il y a quatre ans, 2ème cette année. Je suis vraiment content de l’avoir battu, car c’est un sacré client !
Thomas Coville
Ce qu’il a fait est extraordinaire ! Il m’a boosté, m’a envoyé de petits messages après son arrivée, me disant « De toute façon c’est toi qui va gagner ! J’en suis sûr et certain ». J’y ai souvent pensé car il a été un peu notre guide sur ce tour du monde.
Banque Populaire VIII
Ce bateau, c’est de loin le meilleur 60 pieds que je n’ai jamais eu en terme de performance, de fiabilité, de développement. Il très polyvalent, et pour moi c’était très important dans les phases de transition. Banque Populaire VIII est un bateau qui, je crois, me ressemble. Et à l’arrivée, il avait fière allure. C’est pour ça que je l’ai vivement remercié. On a vécu ensemble toute une histoire.
Le mental
Lors de mon premier Vendée Globe en 2009, j'étais arrivé épuisé, j'avais perdu pas mal de kilos car j'avais mal géré la nourriture, et n’avais plus rien à manger à quatre jours de l’arrivée. Il y a quatre ans, j'étais en forme physiquement, mais déçu. Cette année mentalement, je suis allé très loin dans mes ressources. Je me suis fait violence car je me suis dit que je ne pouvais pas perdre cette course. Je me suis battu jusqu'au bout. Je ne voulais pas avoir le moindre regret ensuite.
Les jours à venir
C'est un projet de dix ans, dix ans de ma vie : trois fois le Vendée Globe et trois fois jusqu'au bout. Je profite. Je savoure, mais je suis très sollicité, j’ai un programme de ministre jusqu’au milieu de semaine prochaine... C’est plus difficile à gérer pour la famille qui ne m’a pas vu depuis des semaines et pour mes enfants qui ne comprennent pas que je sois rentré mais toujours pas disponible.
Dans quelques jours je vais souffler. Je n’ai pas prévu de naviguer jusqu’à l’été et la mise à l’eau du trimaran. Je vais donc pouvoir à nouveau « vivre normalement » faire les courses, aller chercher mes enfants à l’école. Pour les vacances de février, on n’a encore rien de prévu… car tant que la course n’est pas finie, tu te dis que tu ne vas rien programmer. Mais promis, je vais m’en occuper."
par la rédaction
Source : Mille et une vagues