Retour sur l'exploit réalisé par Thomas Coville. On embarque durant 49 jours et 3 heures à bord de Sodebo Ultim'. Le record autour du monde en solitaire, c'est parti !
Crédit : Y Zedda
Le 6 novembre 2016, les chevaux sont lâchés. Jean Luc Nélias et la cellule routage informent Thomas Coville qu'une fenêtre météo exceptionnelle s'ouvre à lui. Le même jour que le Vendée Globe, le skipper de Sodebo Ultim s'élance autour du monde.
Atlantique Nord de Ouessant à l’Equateur : Un plaisir fou
Madère est paré en deux jours. Thomas Coville peut déjà gagner dans l’ouest pour s’écarter des Canaries et viser son point de passage du Pot-au-Noir. Sous toute sa toile, Sodebo Ultim’ dévale les vagues à la vitesse d’un TGV du large. Seule alerte, un petit requin se trouve pris dans le safran principal. Après les Canaries, les Iles du Cap Vert sont dépassées à la fin du quatrième jour au prix de deux rapides empannages pour éviter le dévent de l’Ile de Santo Antao. Sodebo Ultim’ dévale l’Atlantique nord à la cadence infernale de plus de 25 nœuds de moyenne.
« Le stand-by à Brest a été tellement court que je suis parti avec un influx intact. Je me suis fait un plaisir fou dans cette descente vers le Pot-au-Noir, même si le début a été beaucoup moins facile que prévu, avec des grains assez violents et pas mal de manœuvres, en particulier pour éviter le dévent de Madère.
Mais je me suis tout de suite senti en phase avec le bateau. L’expérience accumulée m’a permis de bien gérer ce début de tour du monde. J’ai connu des moments de pur bonheur. Glisse parfaite, hautes vitesses, mer dans le bon sens. Nos grands trimarans sont exactement faits pour ça. Et je n’ai jamais connu un passage du Pot-au-Noir aussi facile. »
Sodebo Ultim’ coupe l’équateur dans le temps canon de 5 jours 17 heures et 15 minutes, nouveau temps de référence en solitaire et cinquième performance absolue sur le parcours Ouessant-Equateur. Thomas compte plus d’un jour d’avance sur Francis Joyon (6 jours 16 heures 58 minutes). Mais ses routeurs le préviennent qu’il ne bénéficiera pas d’une traversée de l’Atlantique Sud aussi idéale que celle dont avait bénéficié Francis Joyon fin 2007. L’anticyclone de Sainte Hélène et ses calmes redoutables vont le contraindre à effectuer un large détour le long des côtes Brésiliennes.
Atlantique Sud de l’Equateur au cap de Bonne Espérance : C’était épuisant
Après un bel arrondi le long de l’Amérique du Sud jusqu’à l’entrée dans quarantièmes degrés de latitude sud, au large de l’Argentine, Thomas Coville met cap à l’est vers le sud de l’Afrique. Un piège redoutable se profile devant ses étraves : l’anticyclone descend vers le sud et la barrière des glaces dérivantes est signalée à une position exceptionnellement nord cette année. Thomas n’aura d’autre choix que de se glisser dans un étroit couloir et à zigzaguer de part et d’autre du lit du vent. C’est ainsi qu’il enchaîne seize empannages en vingt-huit heures, 22 en 48 heures, parfois deux de ces manœuvres épuisantes en moins d’une heure, un exploit sur un bateau de cette taille.
« J’ai encore connu deux ou trois jours de rêve, à ce détail près que j’ai découvert les premières petites casses. Je n’étais pas surpris : j’ai réparé. Très vite, j’ai commencé à gamberger sur la position de l’anticyclone de Sainte-Hélène. Quand Jean-Luc a fini par m’avouer que j’étais contraint d’effectuer un détour de 800 milles, j’étais consterné ! Pourtant, j’ai réalisé que notre potentiel de vitesse changeait complètement la donne. A condition de ne jamais lever le pied, évidemment.
Quand il a fallu enchaîner des dizaines d’empannages entre la zone des glaces et la limite des calmes, j’ai choisi de pousser un peu au-delà du raisonnable côté glaces. C’était un risque, mais grâce à cela, nous sommes arrivés en avance à Bonne Espérance. C’était épuisant, mais ça a tout changé. La fenêtre du départ restait excellente. Conclusion : pour qu’une fenêtre soit vraiment bonne, il faut l’ouvrir soi-même. » 1 jour 5 heures d’avance à Bonne Espérance
Le Cap de Bonne Espérance est atteint avec une avance d’environ 24 heures. Déjà se profile le passage au sud du Cap des Aiguilles et l’entrée dans l’Océan Indien. Après un nouveau temps de référence à Bonne Espérance (14 jours 4 heures 43 minutes et 48 secondes, en avance de 1 jour 5 heures 14 minutes et 50 secondes sur le record) et une moyenne proche de 25 nœuds depuis le départ, il s’est lancé tête baissée à l’assaut de l’Océan Indien par les Quarantièmes Rugissants puis les Cinquantièmes Hurlants.
Océan Indien du cap de Bonne Espérance au cap Leeuwin : Brutal
Il n’y a rien d’humain au pays des albatros. Le vent souffle en permanence à force 8, le trimaran dépasse les 40 nœuds en pointe. Le solitaire se tient jour et nuit en combinaison de survie dans son cockpit, l’écoute de grand-voile à la main, prêt à larguer en catastrophe en cas de sortie de route. Quand enfin la houle s’allonge, que le vent tourne pour ne plus venir du Pôle Sud mais de latitudes plus clémentes au nord, alors le géant noir et vert hausse sa cadence jusqu’à tenir des moyennes inconnues dans cet exercice de haute voltige.
« J’ai toujours redouté cet océan. A peine le sud de l’Afrique dépassé, il a fallu remonter vers le nord pour éviter un noyau tempétueux où les vagues dépassaient les dix mètres. La mer était chaotique, hostile. Et nous foncions là-dedans au reaching. C’était brutal.
Mon genou s’est infecté. Les antibiotiques ne faisant aucun effet, les toubibs commençaient à envisage de me dérouter sur l’Australie. C’était hors de question. Un deuxième antibiotique a mis du temps à donner des résultats. Je me trainais sur une jambe, j’avais de la fièvre, mon genou enflait. Il faisait un froid terrible, la mer était infernale. J’étais obligé de me déshabiller deux fois par jour pour traiter la plaie. Enfin, les médicaments ont fait de l’effet. Seul problème, j’avais épuisé toute ma réserve d’antibiotiques.
On a heurté une baleine, le système de barre a été touché. Il a fallu que je trouve la solution tout seul. J’ai fini par utiliser une sangle à cliquets pour réunir deux bouts de barre de transmission. Ce genre de petites victoires m’a aidé à tenir. » 1 jour 12 heures d’avance au Cap Leeuwin
Sodebo Ultim’ heurte une baleine. La barre de liaison du safran tribord se déconnecte. Thomas doit réparer à califourchon sur le flotteur. L’Indien est sans pitié. Mais le compteur affiche déjà dix mille milles, parcourus à une moyenne affolante. Sodebo Ultim’ descend vers les Cinquantièmes. La température de l’eau tombe en dessous de 4°C. Thomas réussit à se positionner en avant du front chaud d’une dépression venue de l’ouest. Il tient des moyennes supérieures à 29 nœuds durant des heures.
Le dimanche 27 novembre, Sodebo Ultim’ accroche un nouveau temps de référence. 21 jours et trois heures après son départ d’Ouessant, le trimaran double le Cap Leeuwin, au sud-ouest de l’Australie, le deuxième des trois grands caps du tour du monde. Thomas Coville signe un nouveau record de l’Océan Indien en 8j 12h 19m le 29 novembre à 7h51. C’est 23h 47min de mieux que le précédent record de Francis Joyon en 2007 (9j 12h6min).
Océan Pacifique du cap Leeuwin au cap Horn : C’était dément
Son entrée en Pacifique se fait en plein Cinquantièmes Hurlants. Thomas Coville le traverse comme une étoile filante, il atteint en quelques jours la moitié du grand océan et les deux tiers du parcours. Sodebo Ultim’ fonce en incurvant sa route vers le sud en direction du Cap Horn. Le skipper avoue que sa chevauchée fantastique ne lui laisse guère le temps de souffler. Il ne reste qu’à tenter de récupérer en arrachant des tranches de deux heures de sommeil haché.
« Je n’ai pas vu le soleil une seule fois, mais je suis allé vite, vraiment très vite. Je n’avais pas le choix, j’avais une tempête tropicale aux fesses. Si elle m’avait rattrapé, je ne sais vraiment pas ce qui se serait passé. Alors j’ai cravaché comme jamais, j’ai tenu des moyennes que je ne pensais pas pouvoir atteindre en solitaire. C’était dément. Mais je peux dire que j’ai pris un plaisir fantastique.
Je suis descendu jusqu’à frôler le 60ème sud. L’eau était à 0°C. En arrivant sur le plateau continental chilien, la mer est devenue énorme. Et dans ces creux incroyables, la taille de Sodebo Ultim’ n’était plus un atout. J’ai décidé de réduire la toile et je m’en veux encore. J’ai raté la transition du Horn à quatre heures près. Jusque-là, j’étais plutôt content de ce que j’avais fait. » 4 jours 59 minutes d’avance au cap Horn
Thomas remonte vers la redoutable côte de la Terre de Feu en enchaînant sept empannages. La dépense d’énergie est considérable, le risque de se retrouver privé de vent à quelques encablures des dangers de la côte toujours présent, et le passage du Horn est repoussé en fin de nuit. Dans une obscurité humide et hostile, Sodebo Ultim’ double le Cap Dur. Thomas Coville franchit cette falaise mythique sans la voir, pour la dixième fois.
Il l’appelle lui-même le Cap de Bonne Délivrance. Thomas Coville établit là une nouvelle brassée de records. A commencer par une traversée du Pacifique en 8 jours 18 heures 28 minutes, à la moyenne effarante de 25,8 nœuds. Dans des temps comparables à ceux du Trophée Jules Verne. Entre son départ de Ouessant et le Horn, Thomas Coville aura mené Sodebo Ultim’ à une cadence de plus de 600 milles parcourus par 24 heures. C’est un nouveau record de l’océan Pacifique : (Tasmanie/Cap Horn) : 8j 18h 28m 30s soit 1jour 19h 58min de mieux que le précédent record de Francis Joyon en 2007 (10j 14h 26min).
Atlantique Sud du cap Horn à l’Equateur : Trois ascensions dans le mât
Une remontée marquée par la traversée d’une zone de calmes brusquement suivie du passage d’une dépression en route vers le grand sud. La sortie des Quarantièmes renvoyait à plus tard la réelle délivrance. Il fallait composer avec des vents de force 8 et une mer chaotique. Mais chaque heure passée rapprochait Thomas Coville d’un retour à la chaleur des tropiques et d’un deuxième passage de l’Equateur prévu pour la sixième semaine de cette chasse au record.
« J’ai attaqué cette remontée aussi épuisé que débordant de culpabilité à propos de ma décision de lever le pied avant le Horn. En même temps, si j’avais tenu mon rythme fou, la route idéale m’aurait envoyé dans l’est des Malouines, et j’aurais de nouveau flirté avec la limite des glaces. Je crois que je ne voulais retrouver ce stress-là à aucun prix.
La météo au large de l’Argentine est compliquée, pleine de transitions, de coups de vent brutaux et de calmes soudains. C’est dans ce chaos que j’ai été contraint de monter au mât à trois reprises. Chaque fois c’était scabreux. De nuit, j’ai perdu ma lampe frontale. Je n’arrivais plus à retrouver le cordage du descendeur. Je me suis retrouvé suspendu dans le vide, très loin en arrière du mât. J’en ai encore des bleus à la jambe. » 6 jours 11 heures d’avance à l’équateur
L’Equateur est franchi à 05h45 du matin (heure française). Les records tombent : équateur-équateur en 35 jours et 21 heures (record officiel en attente d’homologation), Ouessant-équateur en 41 jours 14 heures (meilleure performance), six jours et onze heures d’avance sur le record du tour du monde… Le vent de nord-est rentre doucement, le temps est clair, l’alizé va fraîchir, la dernière ligne droite se profile.
Atlantique Nord de l’Equateur à Ouessant : D’une brutalité monstrueuse
La remontée de l’alizé et celle de l’Atlantique est rapide, violente et impitoyable. Il faut consentir à allonger la route. Il faut accepter de revenir à la progression en escalier au prix d’un enchaînement d’empannages qui épuisent un solitaire usé par ses 27 000 milles à grande vitesse.
« La remontée de l’alizé a été horrible. Je fonçais au vent de travers face à la mer. Tout ce que détestent nos grands multicoques. Et j’avais un mal fou à trouver le frein. Or Sodebo Ultim’ ne demandait qu’à s’envoler sur les crêtes. L’atterrissage était d’une brutalité monstrueuse. Je me disais que j’allais tout casser, que le mât n’allait pas résister. Mais il fallait cravacher. Jean-Luc (ne me laissait pas le choix. La route imposait un grand détour autour des Açores, et si je n’arrivais pas à partir devant un front froid, j’allais plonger tête baissée dans une forte tempête. Donc, j’ai serré les dents et j’ai tenu.
Ensuite, dans le dernier tronçon j’avais peur de taper quelque chose. Quand j’ai traversé le rail des cargos, avant Ouessant, la visibilité était quasi nulle. L’écran radar me montrait des navires tout proches, je ne les voyais pas. Je fonçais dans la brume à 28 nœuds. Dès que j’ai franchi la ligne, j’ai tout largué, je suis tombé à genoux dans le cockpit. Sur le moment, record ou pas, je me moquais de tout : c’était fini. » 8 jours 10 heures 26 min d’avance à l’arrivée
Quand enfin le vent s’oriente au sud-ouest, en avant d’une dépression qui vient des Etats-Unis, Sodebo Ultim’ retrouve son rythme sur une mer relativement tranquille. Il ne reste plus qu’à lui lâcher la bride et à le laisser galoper vers la ligne de délivrance, là-bas sous le phare du Créac’h.
Vous conseille : 49 jours 3 heures 7 minutes 38 secondes, Thomas Coville pulvérise le record de Francis Joyon
http://www.scanvoile.com/2016/12/flash-49-jours-3-heures-7-minutes-38.htmlRetour à La Trinité demain vendredi
Après un marathon médiatique parisien, Thomas Coville est attendu à La Trinité sur Mer, son port d'attache, vendredi 30 décembre en fin de matinée. Sodebo Ultim' remontera le chenal aux alentours de 11h. Le public est attendu nombreux.
par la rédaction
Source : A Bourgeois