Après 88 jours 10 heures 27 minutes et 10 secondes de mer, Bernard Stamm a coupé symboliquement la ligne d'arrivée du Vendée Globe hier à 22 h 30 50 sec. Hors course depuis le 9 janvier dernier, suite à la perte de ses hydrogénérateurs ne lui laissant d'autre choix que de se faire ravitailler en carburant, le skipper de Cheminées Poujoulat a retenu son souffle jusqu'au bout, victime d'une rupture de la fixation entre le vérin de quille et la coque la nuit dernière. Le navigateur suisse boucle ici son tour premier tour du monde en solitaire sans escale.
Credit : JM Liot/DPPI
"La navigation hors course"
Ce qui était un peu bizarre, c’était de faire ça « caché ». Moi, je faisais ma course normalement puisque j’avais mes positions. Mais j’ai compris qu’à terre, ça ne se passait pas comme ça. C’était logique de revenir à mon port d’attache. Je n’allais pas laisser le bateau et rentrer en avion. Et puis rien ne m’empêchait de continuer mes expériences embarquées (minilab).
"Perdu 7 kg"
J’ai perdu 7 kilos. Je n’avais pas beaucoup de gras, là il n’y en a plus. J’ai pris du muscle. La rupture de la colonne de winch a rendu les choses difficiles. Toutes les manœuvres, je les faisais directement aux winchs.
"Une erreur énorme, c’est le roof"
Il n’y a pas de fatalité dans ce qui arrive. Nous, on paie un peu les premiers retards qu’on a eus dans le projet. On a eu un incident dans la Jacques Vabre, on a tapé quelque chose. Ces bateaux sont compliqués, il nous a manqué deux transats pour tester tout.
Pendant ce temps, les autres s’entraînaient. Il y a eu un décalage dans la préparation qui a été pénalisant. On n’est pas visionnaire non plus et on est passé à côté de certaines choses. Et je n’ai pas pu me servir de l’expérience d’autres bateaux frères. Une erreur énorme, quelque chose qu’on a zappé, c’est le roof, la protection du bonhomme.
"J’ai fait ce que je devais faire"
Etait-ce une erreur de s’amarrer à un autre bateau ? Une erreur pour rester en course oui, pour garder mon bateau en état non ! Si l’autre bateau n’avait pas été là, j’aurais été hors course tout de suite parce qu'il fallait que je répare mon hydrogénérateur pour continuer.
Je n’ai pas trouvé d’arguments pour expliquer au gars de ne pas monter, mais en fait c’est pire que ça, je n’ai pas eu le temps. En 2008, j’ai perdu un bateau comme ça. A un moment, il faut faire les choses comme un marin. Là c’était le cas. Je n'ai aucun sentiment de quoi que ce soit, j’ai fait ce que je devais faire.
"Les problèmes d’hydrogénérateurs, c’est leur fixation"
Quand je parle des soucis d’hydrogénérateurs, c’est général. Le problème, c’est leur fixation à bord. L’implantation est tellement mal faite qu’on ne sait pas si l’appareil fonctionne. Ils ont construit un jouet, pas fait pour un tour du monde. De plus, on les a reçus tardivement, on voulait les mettre pour la Jacques Vabre. Et si on avait pu les avoir à ce moment-là, on les aurait déchirés aussi au bout de deux jours.
"Plus fort aujourd'hui ?"
Je ne sais pas si je suis devenu plus fort. L’entrainement physique que j’ai fait, était fait pour une course sans problèmes. Dorénavant, je devrais inclure les problèmes dans ma préparation. J’ai fait des entrainements à la colonne de winchs, mais j’ai perdu la mienne !
"Content d’avoir mené Cheminées Poujoulat autour du monde"
Ce n’est pas anodin. La remontée de l’Atlantique, c’est tellement long que tu as l’impression de passer d’une planète à une autre. Dans le Sud, certes ça tape mais ça glisse alors que l’Atlantique au près, ça paraît interminable. Je suis content d’être passé au travers de tout ça. Je suis fier.
A propos de François Gabart
J’aurais aimé qu’il soit là pour mon arrivée, mais je comprends très bien qu’il ne soit pas là. On s’entend bien, c’est d’ailleurs un des seuls qui m’ait fait monter sur son bateau. Il ne m’a pas fait rentrer, mais je suis monté dessus. Ça se voyait à l’entraînement qu’il était à l’aise avec l’utilisation de son bateau. C’est un vrai exercice de style de faire un tour du monde comme ça, avec Armel aux trousses.
La situation de Jean-Pierre Dick
Jean-Pierre rentre avec un bateau qui n’a plus aucun critère de stabilité, qui n'est plus à la jauge IMOCA. Ça me rassure de voir que le comité (ou jury) soit capable de s’adapter, de prendre ses décisions en fonction du contexte. C’est bien que Jean-Pierre n’ait pas été pénalisé.
Il y a certaines règles qui devraient être changées, comme le fait de s’amarrer à un bateau. Moi je prenais ça comme un corps mort, ça aurait pu être un arbre. Le concours de circonstance en Nouvelle-Zélande, c’était quand même quelque chose. J’espère que les règles vont évoluer. Le Vendée Globe n’a pas besoin de ça, le Globe a besoin de bateaux qui rentrent.
"Maintenant le bateau est mature"
Sur le bateau, il faut changer l’ergonomie. Il faut refaire la protection du bateau. C’est dangereux dehors. De plus, il faut repenser les moments où je ne fais rien. On y avait un peu pensé, mais juste un peu. Quand le bateau est parti, c’était un adolescent et maintenant il est mature. Je n’ai pas envie de le donner à quelqu’un d’autre maintenant.
"Objectif Jacques Vabre"
Cette année on va préparer les courses d’avant saison si possible. La Jacques Vabre est un objectif. En ce qui concerne un prochain Vendée Globe, c’est trop tôt pour le dire. C’est un engagement tellement intense. Pour le gagner, il faut avoir envie de le faire. Pour l’instant je n’en ai pas envie. Mais ça pourrait se mettre en place.
Credits : O.Blanchet/JM Liot
Source : Vendee Globe