Son Vendée Globe vient de se terminer. Quille arrachée. Tout s'écroule pour Marc Guillemot en une fraction de secondes, lui qui, quelques heures avant, s'élançait pour le Tour du Monde. Le skipper de Safran prend alors la plume dans Libé. Un très beau papier où il nous raconte ses émotions.
"Un petit tour et puis... plus rien ! La partition est, depuis quatre ans, répétée en solitaire, en double ou encore en équipage, les instruments pour la jouer me sont familiers. La tête est bien concentrée sur le sujet, tous les voyants sont au vert pour s’élancer avec sérénité et confiance dans ce Vendée Globe 2012. C’est magique de larguer les amarres pour contourner l’Antarctique, les liens tissés à terre restent derrière, la route devant est à construire. Nous sommes le 10 novembre 2012, il est 13h 02, le départ est lancé. Pas celui que l’on prend à chaque régate d’entraînement mais celui qui n’est donné qu’une fois tous les quatre ans, calé sur le cycle d’une olympiade. Celui qui dépasse tout ce que l’on peut imaginer, tant l’engagement, la passion et l’effort s’imposent aux skippers pour se lancer sur un Vendée Globe.
Le mien a été si court qu’à peine les voiles réglées et la terre disparue, ma course s’arrête et je dois rentrer avec un bateau bien handicapé. Rien n’est visible de l’extérieur. A l’appel, il manque juste la quille, la fameuse. Sans elle, la stabilité devient hasardeuse et les performances impossibles. Envisager de continuer est impensable. En 2009, j’ai dû naviguer sans cet appendice pendant les huit derniers jours de course. Je n’avais d’autre choix que de regagner les Sables-d’Olonne pour terminer mon parcours riche en aventures.
Là, en un instant, tout s’écroule. On imagine devenir le centre de son monde éphémère, sans que personne autour ne puisse intervenir. En même temps, et mis à part un goéland en perdition à la recherche d’un chalutier, personne n’est sur zone, si ce n’est les autres concurrents affairés à la marche de leurs bateaux. C’est bien fini, je suis dépité, je n’aime pas subir les choses, et pourtant je n’ai pas le choix. Voiles affalées, sur mon bateau désorienté, un peu paumé, je pousse la barre et mets le cap sur la ligne de départ ou d’arrivée, c’est selon. J’ai sommeil mais ne peux dormir, j’ai faim mais ne peux manger. Je pense aux énergies de mon équipe, de mon partenaire, de la mienne et de toutes celles des autres intervenants qui voient avec tristesse leur travail s’envoler à quelque cinquante milles des Sables.
Je pense aussi à Gabart, Stamm, Le Cléac’h, Dick, Beyou, Riou, Boissières, Davies, de Broc, Golding, Le Cam, Thomson, Gutkowski, de Lamotte et tous les autres au centre du match alors que de Pavant et Burton viennent de se faire sortir par le chalutier que le goéland cherchait. Les digues se rapprochent, mes camarades de travail embarquent à bord, c’est l’heure du réconfort, des mots à la tonalité ajustée, forts, puissants, rien de trop. A quelques dizaines de mètres de Safran, un bateau croise cap vers le large : Bertrand de Broc repart, sa course commence, la mienne s’achève, il est 3h00 TU, c’est le 11 novembre, les oiseaux marins sont en sommeil."
Credit : JM Liot/DPPI/Vendée Globe
"Un petit tour et puis... plus rien ! La partition est, depuis quatre ans, répétée en solitaire, en double ou encore en équipage, les instruments pour la jouer me sont familiers. La tête est bien concentrée sur le sujet, tous les voyants sont au vert pour s’élancer avec sérénité et confiance dans ce Vendée Globe 2012. C’est magique de larguer les amarres pour contourner l’Antarctique, les liens tissés à terre restent derrière, la route devant est à construire. Nous sommes le 10 novembre 2012, il est 13h 02, le départ est lancé. Pas celui que l’on prend à chaque régate d’entraînement mais celui qui n’est donné qu’une fois tous les quatre ans, calé sur le cycle d’une olympiade. Celui qui dépasse tout ce que l’on peut imaginer, tant l’engagement, la passion et l’effort s’imposent aux skippers pour se lancer sur un Vendée Globe.
Le mien a été si court qu’à peine les voiles réglées et la terre disparue, ma course s’arrête et je dois rentrer avec un bateau bien handicapé. Rien n’est visible de l’extérieur. A l’appel, il manque juste la quille, la fameuse. Sans elle, la stabilité devient hasardeuse et les performances impossibles. Envisager de continuer est impensable. En 2009, j’ai dû naviguer sans cet appendice pendant les huit derniers jours de course. Je n’avais d’autre choix que de regagner les Sables-d’Olonne pour terminer mon parcours riche en aventures.
Là, en un instant, tout s’écroule. On imagine devenir le centre de son monde éphémère, sans que personne autour ne puisse intervenir. En même temps, et mis à part un goéland en perdition à la recherche d’un chalutier, personne n’est sur zone, si ce n’est les autres concurrents affairés à la marche de leurs bateaux. C’est bien fini, je suis dépité, je n’aime pas subir les choses, et pourtant je n’ai pas le choix. Voiles affalées, sur mon bateau désorienté, un peu paumé, je pousse la barre et mets le cap sur la ligne de départ ou d’arrivée, c’est selon. J’ai sommeil mais ne peux dormir, j’ai faim mais ne peux manger. Je pense aux énergies de mon équipe, de mon partenaire, de la mienne et de toutes celles des autres intervenants qui voient avec tristesse leur travail s’envoler à quelque cinquante milles des Sables.
Je pense aussi à Gabart, Stamm, Le Cléac’h, Dick, Beyou, Riou, Boissières, Davies, de Broc, Golding, Le Cam, Thomson, Gutkowski, de Lamotte et tous les autres au centre du match alors que de Pavant et Burton viennent de se faire sortir par le chalutier que le goéland cherchait. Les digues se rapprochent, mes camarades de travail embarquent à bord, c’est l’heure du réconfort, des mots à la tonalité ajustée, forts, puissants, rien de trop. A quelques dizaines de mètres de Safran, un bateau croise cap vers le large : Bertrand de Broc repart, sa course commence, la mienne s’achève, il est 3h00 TU, c’est le 11 novembre, les oiseaux marins sont en sommeil."
Par Marc Guillemot / Safran