La déception est grande à bord du Volvo Open 70 vert et orange. Le mât s'est brisé en deux sous le premier étage de barres de flèche. Il y a un peu de dommage à l'arrière du bateau avec la chute de la tête de mât. L'état des voiles qui ont chaluté dans l'eau un moment n'a pas été communiqué. Dans son dernier ITV cette nuit, Franck estime qu'ils ont de la chance dans leur malheur puisque la côte n'est pas loin. Son espoir est de finir la course sous un gréement de fortune installé lors de leur arrêt à Punta del Este pour prendre les 20 points donnés pour une 3ème place d'étape.
"Groupama 4 démâté.
Une petite vingtaine de nœuds, un petit clapot, rien de plus. Des conditions faciles. Un équipage fatigué, mais plein de confiance, notamment après le joli coup qui nous a permis de reprendre la tête avec un petit matelas d’avance la nuit dernière. Le Brésil à portée d’étrave après près de trois semaines d’efforts intenses.
Et tout s’écroule.
J’étais dans la cuisine en train de déjeuner. Un grand crac, le bateau qui se met à plat subitement. Aucun doute possible. Sur le pont, Franck, Thomas, Brad, et Martin Strömberg ont assisté, impuissants à la rupture du tube juste sous le premier étage de barre de flèche. Sans pour autant en comprendre l’origine. Comment comprendre, d’ailleurs, quand on voit ce à travers quoi il est passé sans problème, ce mât ?
Bref, nous voilà donc tous sur le pont. Une petite minute pour réaliser. Evaluer l’ampleur des dégâts. Puis quelqu’un lance : « Il nous reste cinq heures avant la nuit ! »
Il n’y a rien de trop. Alors on s’y met. Préserver le bateau de l’espar qui tape contre la coque. Enlever la grand-voile. Ramasser le génois, qui traine dans l’eau. Récupérer l’espar. Manœuvres laborieuses et qui peuvent s’avérer dangereuses, tant la fibre de carbone cassée est tranchante.
En parallèle, Franck met en place une stratégie pour la suite. A 17h02 UTC*, on se retire provisoirement de la course. La règle dit qu’un bateau peut suspendre sa course ("suspend racing") à une position donnée, et la reprendre un minimum de 12 heures plus tard à la dite position. Alors c’est ce qu’on fait. Depuis 17h02, Groupama 4 n’est plus en course. Provisoirement. À l’heure qu’il est, on fait route au moteur vers Punta del Este au moteur, où on devrait arriver d’ici trois ou quatre heures.
Là-bas, avec l’équipe à terre, on va tenter de mettre en place un gréement de fortune pour pouvoir terminer l’étape, si possible en troisième position, et récupérer les points. A la fois un défi ambitieux, et un moindre mal.
Juste un mot sur le moral de l’équipage, avant de m’écrouler de sommeil dans ma bannette. Déception, évidemment, mais aussi beaucoup d’incrédulité. On a du mal à réaliser ce qu’il vient de nous tomber sur la gueule, avec ce mât. Envolé, l’espoir légitime d’une nouvelle victoire d’étape. Envolée également, la perspective de recoller rapidement au premier du classement général de la course. Et je ne parle même des quelques jours de repos qui nous attendaient, après près de trois semaines d’étape harassantes.
Alors chacun se concentre sur ce qu’il à faire. J’entends parfois pester à droite à gauche. Certains tentent de s’évader à travers de vaines tentatives d’humour, qui débouchent au mieux sur quelques rires jaunes. Les visages sont défaits.
En revanche, la motivation est là pour finir cette étape. Finir cette étape, prendre les points qu’il y a à prendre, et revenir encore plus fort sur la prochaine. La volonté est là. Sans aucun doute.
Je m’endors. Le réveil risque d’être un peu difficile.
Yann"
*Selon la salle de contrôle d'Alicante, la notification de suspension de course a été reçue à 15h42 UTC.
Credit : Y.Riou/Groupama/VOR
Source : Volvo Ocean Race