VOR / Franck Cammas : "Il faudra même peut-être mouiller l'ancre !"

Etape très tactique que ce parcours de 3 000 milles entre Malé (Maldives) et Sanya (Chine) : beaucoup de navigation contre le vent, dans une brise plutôt faible et variable, avec des courants de marée et océaniques, un gros trafic maritime dans le détroit de Malacca, des zones interdites et d'autres mal cartographiées, une mer casse-bateau en mer de Chine…. A la veille du départ, Franck Cammas et Jean-Luc Nélias examinent les particularités de cette manche.

Credit : Y. Riou/Groupama/VOR


Cette deuxième partie de la troisième étape s'annonce délicate sur l'eau !
« C'est une étape particulière parce que ce sont des allures essentiellement contre le vent dans les petits airs, conditions que nous n'aurons pas forcément sur le reste de la course. Nous serons rarement en dessous de 80° du vent… La première partie s'annonce assez directe entre les Maldives et le détroit de Malacca : ce devrait être un long bord bâbord amure avec peu de brise et du près légèrement débridé. Cela se complique à l'approche de Sumatra où le dévent des îles va beaucoup compter : il y aura quatre jours de vitesse où il va falloir choisir le bon angle et la bonne configuration de voiles. Ce sera certainement une bagarre au contact, à vue ce qui sera intéressant pour analyser les performances de chacun. »

La traversée du détroit de Malacca est assez complexe…
« La deuxième partie est plus aléatoire puisque nous serons dans un entonnoir avec peu d'options possibles, mais des effets locaux à bien gérer avec du relief, des brises thermiques et du courant de marée. Il faudra même peut-être mouiller l'ancre ! »

La remontée en mer de Chine est aussi très nouvelle !
« Nous n'avons pas l'habitude de naviguer dans un régime de mousson, comme nous allons en avoir sur la troisième partie du parcours entre Singapour et Sanya. Le vent peut être assez fort puisqu'il peut monter bien au-delà de trente nœuds, avec une mer très hachée. »

Ce sera une course où la flotte va rester très groupée ?
« Il n'y a pas vraiment d'ouverture tactique, même si sur la fin le long des côtes vietnamiennes, il faudra choisir ses bords puisque le vent s'annonce dans l'axe avant de terminer sur un bord tribord amure. Il ne devrait tout de même pas y avoir de grosses options car tout le monde va essayer de rester sur la route la plus directe. »

Groupama 4 a été optimisé pour ces conditions particulières ?
« Nos récents résultats sont encourageants au débridé, mais ce ne sont pas les conditions qui se présentent pour ce prochain parcours ! Toutes les équipes se cherchent encore un peu et la navigation au contact va montrer les points forts et les points faibles. Nous sommes sur une spirale positive mais sur des étapes courtes : il faut le confirmer sur un long parcours… »

Vous avez donc effectué quelques modifications sur le bateau ?
« Nous avons essayé de jouer sur l'assiette longitudinale de Groupama 4 qui est le bateau le plus enfoncé à l'arrière pour les allures débridées dans la brise. Nous avons aussi des voiles plus puissantes dans les petits airs parce que nous avons le voilier le plus raide à la toile : nous avons modifié nos réglages pour gagner en performance dans les faibles brises. »


Un parcours de navigateur…
Jean-Luc Nélias, cette manche regroupe trois phases très différentes…
« Le parcours d'environ 3 000 milles est scindé en trois parties : des Maldives à Malacca, soit 1 300 milles au près débridé dans une dizaine de nœuds de vent ; puis toute la traversée du détroit, soit 630 milles dans des vents très variables et faibles, une zone proche de l'équateur donc une similitude avec le Pot au Noir, des orages et des grains et surtout des régions où il peut y avoir jusqu'à cinq nœuds de courant ! Il y a en plus beaucoup de trafic maritime, des pêcheurs, des objets flottants, des pirates… Enfin, une remontée dans le Sud de la mer de Chine, soit 1 200 milles face à la mousson de Nord-Est, au milieu d'îles pas très bien cartographiées et face à un courant général d'au moins un nœud qui longe les côtes vietnamiennes. Beaucoup de navigation en perspective ! »

La remontée en mer de Chine va s'effectuer face à la mousson…
« La particularité de la mousson, c'est que c'est le seul phénomène météo qui traverse le Pot au Noir. Là, nous sommes en mousson d'hiver avec un vent de Nord-Est qui est généré par un gros anticyclone centré sur la Chine. C'est une brise plutôt instable puisque c'est de l'air froid qui souffle sur une mer chaude et comme c'est un vent omniprésent, cela lève une mer assez forte. »

Qui dit équateur, dit hautes températures !
« C'est une étape essentiellement équatoriale : il fera donc très chaud et comme c'est aussi un vent chaud, donc plus léger, il y a parfois plus de vent en tête de mât que d'habitude. Il va falloir recalibrer l'électronique et bricoler les polaires de vitesse. Et puis il y aura toujours six équipiers à l'intérieur qui sera une bonne chaudière ! Et en mer de Chine, il ne sera pas possible d'aérer avec peu de coins ombragés sur le pont… Les conditions seront donc assez difficiles à supporter, surtout que nous n'allons pas naviguer très vite ! Et le final au près ne va pas être très confortable. »

L'équipage de Groupama 4 est bien préparé pour cette étape particulière ?
« Nous sommes plutôt en confiance : le bateau va mieux dans les petits airs, mais ce sera une course de gagne-petit car il n'y a pas de grandes options météo pour pouvoir s'écarter de la flotte. Plutôt une étape de tacticien, où il faut jouer placé, minimiser les risques et dans le détroit de Malacca, il y aura des passages à niveau. Mais il y a eu une grosse phase de préparation de cette étape : nous avons le road-book de Jean-Yves Bernot écrit pour la précédente édition, nous avons réalisé des études statistiques, rencontré des marins qui connaissent le coin… »