"Dans d'autres sports, le vélo, la course à pied, quand tu arrêtes, ça s'arrête, dans notre sport, ça ne s'arrête pas, il faut ramener le bateau à la maison," explique aujourd'hui le skipper de Sodebo actuellement freiné à 2400 milles du but dans les tentacules d'un anticyclone des Açores qui s'étale du Portugal aux Bermudes.
Ce n'est donc pas le soulagement du vestiaire pour Tom qui progresse vers le Nord dans un vent très faible : "Cela ralentit comme prévu, je vais avoir encore une journée délicate pour traverser cette dorsale avec des vents turbulents. Le vent vient d'ailleurs de basculer de 90 degrés," poursuit-il. "Difficile de prévoir, alors je gagne vers le Nord pour avancer et je ressens déjà la houle résiduelle des dépressions qui passent au-dessus et que l’on va chercher."
Malgré ce chrono qui tourne et ne l’attend plus, le skipper garde la même attitude. Il reste à l’écoute de son trimaran et agit dans l’instant : "J’ai inspecté le bateau cette nuit car c’était plus calme et il est parfaitement sain structurellement parlant. Je gère le quotidien, je fais marcher Sodebo avec le vent que j’ai. Dans les heures à venir, je devrais passer cette dorsale et entrer dans le flux d’Ouest perturbé que l’on attend depuis l’équateur pour rentrer à la maison avec une période en bâbord amure sur mon étrave abîmée. Je ne sais pas comment cela va réagir au portant car je n’en ai pas fait beaucoup depuis la collision."
Maîtrise de l’exercice
A 42 ans et presque six tours du monde à son actif, Thomas ne cache pas sa déception de ne pas avoir la récompense finale de battre le record de son voisin trinitain, Francis Joyon. Malgré tout, il connaît la valeur de ces défis dans lesquels si peu se lancent. "J’ai une chance inouïe de faire ce que je fais, de m’exprimer de cette façon, d’être sur l’eau avec ce bateau et entourée par cette équipe. Techniquement, on apprend à chaque fois. On va boucler, pour la deuxième fois, un tour du monde en multicoque sans s’arrêter. Déjà, en monocoque, il n’y en a pas beaucoup qui arrivent à finir sans s’arrêter ! Physiquement, j’ai aussi l’impression de ne pas avoir subi la machine. J’ai eu le sentiment de rester maître du bateau malgré une météo à chaque fois un peu plus difficile que prévu et qui ne permettait pas de garder une gestion personnelle optimale de l’effort comme du sommeil. Je suis aussi fier de l'organisation et de la qualité du travail avec mes routeurs. Le geste est beau, la trace est belle. Le faire n’est pas l’unique moteur mais le faire proprement est important même si la récompense ultime n’est pas là."
Sport extrême et extrême liberté
"Se faire peur à l’Ile Heard, naviguer au milieu des glaces, c’est à la fois beau et terrifiant, descendre pleines balles dans l’Indien, c’est la traduction de la liberté et de l’intensité. Mais la prise de risque est intelligente si elle sert une cause, sinon elle est stupide," nous raconte celui qui fait parti de cette espèce rarissime qui accepte de s’exposer à l’aléatoire. Tom appartient en effet à cette espèce qui ne souscrit pas à "l’assurance tous risques."
Une météo "classique" sur la fin aurait suffi
Bien évidemment, en cartésiens, Thomas et ses routeurs cherchent à refaire le film : "Je serais mortifié si j’avais fait une grosse bêtise, là, je m’en voudrais, mais ce n’est pas le cas. Jusqu’à la dépression orageuse au large du Brésil, tout paraissait encore possible avec une météo "classique."
Les records ou la discipline de l’aléatoire
A la différence de la régate, quand vous vous attaquez à un record, vous n’avez pas d’adversaire avec vous sur le plan d’eau qui est confronté aux mêmes conditions et vous permet de vous jauger dans l’instant. "Peu de gens s’attaquent aux records car ils ne veulent pas se confronter à cet aléatoire. Quand tu t’engages, tu sais que ça peut ne pas marcher. La probabilité est même remise à zéro à chaque fois puisque tu t’exposes aux aléas de la nature. C’est le principe même du sport extrême qui est de réaliser les choses sans en attendre quoi que ce soit, ce qui est peu audible pour un compétiteur. C’est aussi ce qui donne une certaine esthétique et une vraie liberté à notre démarche," analyse celui qui s’est frotté dans sa carrière à toutes les familles de la course au large et sur tous les types de bateaux.
L’ardoise magique
Attendu en Bretagne la semaine prochaine, le skipper pense au bonheur de retrouver les siens. "Les départs et les arrivés sont des moments magiques. Quand je vais voir mon petit bonhomme sur le ponton ou sur l’eau, ma fille, tout va s’effacer c’est sûr, c’est comme une ardoise magique ! "
Chiffres du Jour à 19h15 :
Retard : -927,50 nm
VM sur 24h : 7,8 Nds
Milles parcourus en 24h : 187,5 nm
Source : JH / Sodebo