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Le sentiment qui domine après cette troisième place ?
"Il y a un Monsieur qui est parti il n'y a pas longtemps, qui s'appelait Michel Malinovski et qui a écrit un livre qui s'appelle "Seule la victoire est jolie". C'est ce qu'on va chercher dans le Rhum, à chaque fois. Ce n'est pas de l'orgueil que de dire ça, mais dans la machine naturelle de l'homme, la victoire fait partie de ce qu'on va chercher.
Franck est un très beau vainqueur, avec une très belle équipe. C'est moins difficile de se battre contre quelqu'un qu'on connait et qu'on respecte. C'est une superbe année pour Franck et son bateau est fantastique. Je savais que dans notre mano a mano, il fallait autre chose pour faire la différence.
Quand as-tu compris que la victoire s'envolait ?
"On a fait un choix il y a deux jours, on était à moins de 200 milles de Franck , il y avait un décalage qu'on pouvait encore jouer en essayant de prendre l'intérieur dans une bulle. On s'est dit : "Si ça marche, on peut encore attaquer Franck. Si ça ne marche pas, on perd la deuxième place". J'ai préféré être à l'attaque tout le temps, jusqu'au bout. Dans l'attitude qu'on avait avec Sodebo dans cette Route du Rhum, on était vraiment dans la philosophie de Malinovski. Le plus dur c'est de s'apercevoir qu'on ne peut pas gagner.
L'avarie de grand-voile ?
"On l’a caché jusqu’à maintenant mais je suis monté trois fois dans le mât aux Açores. La drisse de la grand-voile est tombée, je me suis retrouvé avec la grand-voile sur le pont et je n'avais qu'une drisse. Normalement avec ce genre d'avarie sur un Ultime, c'est l'abandon. En fait, je m'y suis collé et j'ai réussi la première fois à monter 30 mètres sur les 35, à remettre une drisse et à renvoyer. Sur toute la suite de la course, on n'avait pas besoin de la grand-voile haute. Ca ne m'a pas beaucoup handicapé sauf en termes de fatigue. Après j'ai fait deux tentatives de nuit et je ne suis pas arrivé à remonter en tête de mât pour remettre la drisse. Je n'avais jamais fait l'expérience de monter seul en tête de mât, de nuit. Ce qui m'a décidé à arrêter, c'est d'avoir perdu ma frontale. Je me suis retrouvé dans le noir et j'ai eu un petit moment de doute sur le fait de savoir si j'allais réussir à redescendre et comment j'allais réussir à le faire. Je ne souhaite même pas à mon pire ennemi d'avoir à vivre ce genre de scénario. Sur la fin, c'est sûr que ça m'a handicapé. Mais la deuxième place ne s'est pas jouée là, elle est dans l'option qu'on a pris pour essayer de faire l'intérieur à Franck. Par contre ça prend beaucoup d'énergie et de mental. J'ai une telle osmose avec mon bateau, que je le sentais blessé et que j'avais besoin de le soigner. En dehors de ça, je n'ai eu aucun souci à bord.
Faire la différence avec Groupama 3 passait forcément par une autre route ?
"Pour l'avoir pratiqué tout l'hiver dernier, je savais que ce bateau, au portant notamment, serait imbattable ; d'où notre attitude de faire un choix de route différent des autres et de le pousser jusqu'au bout. Il faut rappeler qu'au départ, tous les routeurs poussaient pour cette voie Nord. On a choisi de tout de suite s'engager sur cette route sans considérer que je pouvais me préserver. Quand on a vu que Groupama 3 était parti de l'autre côté, on s'est dit que c'était l'opportunité de faire la différence et de peut-être le battre. Cette route n'était pas pour faire dans la demie mesure. Faire une Route du Rhum par la face Nord en Ultime, c'était pour ceux qui avaient envie d'y aller.
La machine Groupama 3 a été mise au point en 5 ans par une très belle équipe, sans doute l'une des plus belles du monde. C'est sûr que la largeur et la hauteur de franc bord donnent une qualité de vie qu'on ne peut pas avoir sur Sodebo. C'est un avantage indéniable, pour autant quand j'ai croisé Franck, j'ai eu le sentiment qu'il était soulagé que ce soit fait et qu'il n'avait pas envie d'y retourner demain matin.
Des regrets par rapport à cette route Nord ?
"Je ne pense pas que cette route était nulle, sincèrement on ne s'y serait pas engagé sinon. Je pense effectivement que le jeu a été beaucoup perturbé sur la fin, ce qui n'a pas rendu l'arrivée optimale. Depuis deux jours, j'ai refait cette Route du Rhum dans tous les sens. Je n'étais pas là pour faire troisième, j'étais là pour la gagner.
"Quand on se donne autant et avec autant de cœur, forcément il y a des émotions. J'ai un super souvenir en particulier et même l'équipe derrière moi m'a demandé de me calmer un peu. J'ai fait un bord sous gennake, avec un ris, à plus de 30 nœuds. J'avais de l'adrénaline plein les veines. C'est à moi et personne ne pourra me le prendre et je vis pour ça.
Gagner la Route du Rhum ?
"J'en rêve, mais je vais me consacrer à un autre programme très prochainement. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la niaque que cette course m'a donné me donne encore plus envie d'aller me battre seul autour du monde. Pour ça rendez-vous cet hiver à Brest !"
Source : la Route du Rhum