Crédit : Groupe Bel
A le voir sur les pontons, toujours affable, souriant, n'omettant jamais de se départir d'une petite attention pour chacun de ses interlocuteurs, on imagine difficilement à quel point le jeune homme devient une redoutable machine à broyer ses adversaires dès lors qu'il est sur l'eau. Le secret de sa réussite tient peut-être dans la conjonction de deux paramètres : une capacité hors du commun à absorber les informations qui viennent à lui et une capacité de détachement qui lui permet de résister à la pression de la compétition.
Peut-être que tout a vraiment commencé pour lui quand, à l'âge de sept ans, la famille Gabart s'octroie une année sabbatique, pour aller courir les mers. Une année de rupture avec les codes, de liberté qui va forger la conviction du jeune garçon. Dès lors, il commence à user ses fonds de cirés sur les plats-bords des Optimist, 420 et autres dériveurs avant de passer au seigneur des catamarans de sport, le Tornado, support olympique. Mais comme le jeune homme est aussi une tête bien faite, il poursuit ses études jusqu'à intégrer une école d'ingénieurs à Lyon où il mène de front une préparation aux Jeux Olympiques et l'acquisition de son diplôme d'ingénieur.
Mais c'est le large qui l'attire : il décide donc qu'il sera navigateur, skipper de course au large. S'en suivent deux années difficiles où il découvre que, dans la course au large, la recherche de budget est un sport autrement plus redoutable que les duels aux couteaux qu'il doit parfois livrer sur l'eau. Il saisira sa chance à l'occasion du Challenge Espoir Région Bretagne, une formule de promotion des jeunes talents, qui permet au vainqueur de disposer d'un monotype Figaro Bénéteau pendant deux ans. Et très vite, François Gabart montre l'étendue de son savoir-faire, mais aussi cette étonnante capacité à assumer ses choix, à bannir l'incertitude des projets qu'il monte. Ainsi, au départ de sa première course transatlantique en solitaire, le jeune navigateur a déjà anticipé, à force de renseignements glanés de ci de là, de lectures, d'appel à la mémoire des plus anciens sur le circuit, ce que seront ses trois semaines de navigation en solitaire. Au final, le jeune homme, plus pressé qu'il n'y paraît, finit troisième. Et surtout, il fait l'aveu troublant que cette expérience a finalement été conforme à ce qu'il avait imaginé.
Crédit : Y Zedda / Team Foncia
De Kito de Pavant à Michel Desjoyeaux
Dès lors, la voie est ouverte. Il accumule les performances, termine en 2010 deuxième de la Solitaire du Figaro, sorte de Graal pour tous ces navigateurs solitaires, avant de prendre la tête du Championnat de France de Course au Large en solitaire. La WOW Cap Istanbul pourrait consacrer sa première grande victoire et sceller définitivement son statut de tête de série. Pour autant l'obsession de la performance n'est pas ce qui motive le plus François Gabart. L'amour de la compétition, du dépassement de soi n'occultent pas chez lui la nécessité de savoir prendre le recul nécessaire dès lors qu'il est à terre. Après tout, la régate n'est qu'un grand jeu. C'est peut-être aussi ce recul et cette facilité d'adaptation sociale qui fait de François un équipier recherché par des grands noms de la course au large tel Kito de Pavant qui l'a embarqué sur la dernière Transat Jacques Vabre ou Michel Desjoyeaux qui lui a proposé de former un duo sur la Barcelona World Race, le tour du monde en double sans escale.
« Je mesure ma chance de pouvoir naviguer avec des gens comme Kito ou Michel. Au delà d'être des marins exceptionnels, ce sont aussi des gens qui ont des valeurs humaines essentielles. Bien évidemment, je sais tout ce qu'ils m'apportent ; j'essaye juste de rester à ma place, d'apporter mon regard... Mais jusque là ça fonctionne bien. » Parfois quand même, le chemin linéaire de François Gabart se teinte d'une petite ombre... « Pour faire ce que je fais, il faut forcément avoir l'esprit de compétition. Et quand tout marche, on peut vite entrer dans une bulle, devenir arrogant sans même s'en rendre compte. J'espère qu'alors, les gens qui m'accompagnent et que j'estime sauront me remettre en place... » Tant qu'on en est à se poser ce genre de questions, ce risque de dérive est faible.
Source : WOW Cap Istanbul