WOW Cap Istanbul / François Gabart part au lof, Jeanne Grégoire prend la tête

Après près de 1100 milles de course parcourus sur les 1600 que compte la WOW Cap Istanbul, il faut bien convenir que ce seront les trois dernières étapes, les plus courtes qui feront pencher la balance en faveur de tel ou tel concurrent, tant les écarts risquent d'être faibles au classement général des deux premiers actes. Et pourtant de Ragusa à Athènes, une certaine hiérarchie s'est dessinée, non sur des options spectaculaires, mais bien sur un travail patient d'élimination progressive de la concurrence.

Crédit : B. Stichelbaut / BPCE

On le dit souvent : en course au large, celui qui gagne n'est pas forcément celui qui, à la faveur d'une option audacieuse ou d'un comportement exemplaire aura su forcer la décision, mais plus souvent celui qui aura su minimiser le nombre d'erreurs sur le parcours. Et à ce petit jeu, force est de constater que certains ont cette faculté particulière de finir aux avant-postes au fur et à mesure que la course se décante. Ainsi François Gabart (Skipper Macif 2010) dont la régularité à l'avant de la course se pare d'une faculté certaine à jouer les petits coups gagnants* : un recentrage tactique par ci, une manouvre anticipée, par là. La méthode n'a rien de spectaculaire, mais elle est terriblement efficace et surtout, elle pèse sur le moral de ses adversaires qui à défaut d'attendre la faute du jeune homme peuvent êtr e tentés de jouer avec le feu... et de faire une erreur fatale.

Les marins de la constance
Cette deuxième étape l'a démontré : ceux qui se retrouvent aux avant-postes ne sont pas là par hasard. De Jeanne Grégoire (Banque Populaire) dont l'une des plus grandes forces est d'être capable d'analyser son niveau de performance et ses capacités et d'adapter son style de navigation en fonction de ses conclusions, à Gildas Morvan (Cercle Vert) qui, même lorsqu'on le croit au fond du trou, réussit toujours, mètre après mètre, à revenir aux avant-postes, à Erwan Tabarly (Nacarat) impressionnant de constance, les habitués du circuit Figaro Bénéteau ont trop d'expérience de la course au large pour se laisser piéger par la tentation de partir, flamberge au vent, à l'assaut d'une option tactique improbable. De même, les jeunes pousses qui débarquent sur le circuit sans avoir ce vécu là, ont le plus souvent usé leur fonds de culotte de trapèze sur les bancs des dériveurs olympiques, discipline aussi ingrate qu'exigeante. Comment s'étonner alors de voir des Fabien Delahaye (Port de Caen Ouistreham), Francisco Lobato (Team Tempo Roff) ou bien encore Eric Péron (Skipper Macif 2009) venir régulièrement perturber les désirs hégémoniques des têtes de série ?

Arrivée dans la nuit
Cette étape dont on attendait qu'elle laisse la part belle aux facéties du hasard, comme c'est souvent le cas en Méditerranée, aura été dans l'ensemble assez limpide. Mis à part quelques incidents comme le regroupement général de la tête de flotte sous le vent de l'île d'Anticythère, à un dévent qui piégeait les leaders, l'étape s'est révélée dans l'ensemble exigeante mais assez conforme à ce qu'on pouvait en espérer. Les leaders se sont retrouvés aux avant-postes grâce à la combinaison d'une stratégie judicieuse, d'une bonne vitesse et de manouvres à bon escient. Ensuite, il faut toujours un peu de réussite : mais quand la bonne fortune décide de sourire toujours aux mêmes, c'est bien rare qu'il n'y ait pas une once de talent dans l'affaire.La flotte qui navigue sous spi devrait couper la ligne d'arrivée à Athènes dans la nuit de mercredi à jeudi, voire en fin de soirée de mercredi. Au final cette étape de 520 milles aura, elle aussi, été disputée à bonne allure. Signe du niveau de performance des solitaires : au rocher de Falkonera, à soixante mil les de l'arrivée, moins de quinze minutes séparaient les dix premiers. En tête, sept solitaires pouvaient prétendre encore l'emporter : la moindre faute d'inattention et ce sera les chances de victoire finale qui s'envoleront... jusqu'à ce que le voisin, à son tour, en commette une autre.

*Coup de fatigue ? Erreur d'inattention ? Toujours est-il que dans une survente, François Gabart (Skipper Macif 2010) est parti au lof. Jeanne Grégoire (Banque Populaire) qui le suivait à trois longueurs ne s'est pas fait prier pour s'emparer immédiatement de la tête de la course.

Ils racontent :
Jeanne Grégoire (Banque Populaire) :"La nuit a été difficile et dure mais comme je voyais que ça se passait bien je ne voulais pas lâcher. Je tiens le choc mais le soleil tape fort quand même. Je me dis que ça tape sur tout le monde et que tout le monde doit en baver un peu. C'est la dernière course de la saison donc on sera à ramasser à la petite cuillère en arrivant. J'ai eu 31 nœuds et 2 nœuds donc ça donne une idée du programme sur le pont mais j'ai encore fait la grosse feignasse en prenant un ris et sans mettre de solent, et je m'en suis voulu pendant un moment en me disant qu'un jour je le paierai cher d'être faignante et en fait je n'ai pas payé là parce que mon option un ris génois dans le grain était juste parfaite. J'étais sous toilée mais j'avais quand même la carbu. C'est un peu violent pour le matos mais typiquement dans cette situation là c'était super adapté, mais c'était un gros coup de bol. Je ne sais pas ce que ça va donner par la suite mais arriver deuxième à l'île en Crète, après ce qu'il s'est passé, après avoir fait ma route toute seule, en ayant un peu pris François (Gabart) comme repère, en ayant fait pas mal de choses, en étant passée quatrième à la bouée de dégagement ce qui est pour moi exceptionnel, je ne percute pas en fait. Je suis arrivée deuxième à l'ile tout à l'heure, il y a eu un coup de Trafalgar, je ne fais pas comme tout le monde, j'ai voulu m'écarter, Francisco (Lobato) m'a montré qu'il fallait y aller un peu plus... A un moment ça aurait pu vraiment être dur et puis finalement ça l'a fait. Ressortir deuxième c'est propre, mais ils ont l'air d'avoir faim derrière donc je ne sais pas ce que ça va donner!".

Nicolas Lunven (Generali) : "Quand on est plutôt devant comme moi, c'est carrément désagréable de voir les petits copains revenir, surtout qu'on avait quand même mis un petit peu d'écart. Mais c'est comme ça, c'est la régate. L'essentiel c'est qu'au moins on ait pu repartir et même si les écarts se sont sérieusement tassés, au moins je suis quatrième et les trois de devant ne sont pas loin. Par contre il doit y en avoir six ou sept, peut-être même dix, qui sont à nos basques mais ça va nous tenir en haleine jusqu'à la fin peut-être. Je m'attendais à un dévent mais pas trop là en fait, puisqu'on était plein vent arrière, on longeait l'île donc normalement il n'y avait pas trop de dévent mais le vent a basculé un peu au moment où on passait, du coup c'était plus difficile à anticiper. Mais ce qui est étonnant c'est que tu vois Macif (Skipper Macif 2009 - Eric Péron) qui est juste à mon vent qui a dû faire la meilleur opération dans l'histoire. Il est passé au ras de l'île donc je ne sais pas si ce n'est que du dévent ou si c'est une bulle d'air. Cette nuit j'étais entre Jeanne (Grégoire) et François (Gabart) et je me suis arrêté dans une bulle et j'ai vu François qui s'est barré devant et Jeanne qui m'a doublé à un demi mille à mon vent. Il y avait tellement de clapot que le spi ne portait plus. Ca ne sert à rien de le laisser à contre dans le gréement , le seul truc c'est qu'on risque de le déchirer et sous génois on est parfois plus évolutif dans ces conditions là. Je n'ai pas démoli le bateau même si ce n'est pas très agréable ! C'est arrivé ce coup ci en ma défaveur et celle des trois quatre de devant et puis un jour ce sera en ma faveur et je serai bien content et en train de rigoler, donc il faut faire avec . Parfois la course au large n'est plus un sport mais devient plus de la philosophie, donc il faut savoir être philosophe. On a hâte d'arriver mais c'est un peu trompeur parce que cette île c'était un peu la délivrance parce que les 100 derniers milles pour la rejoindre ont été très laborieux alors que les 300 premiers étaient passés comme une lettre à la poste. De coup j'étais bien content ce matin d'arriver à cette île mais il reste encore 150 milles donc on n'y sera que demain matin. Il peut encore se passer deux trois trucs comme il s'est passé il y a deux heures, espérons que ça tourne en ma faveur!"


Ordre de passage à la porte de Falkonera :
- 1 François Gabart (Skipper Macif 2010)
- 2 Jeanne Grégoire (Banque Populaire)
- 3 Eric Péron (Skipper Macif 2009)
- 4 Nicolas Lunven (Generali)
- 5 Fabien Delahaye (Port de Caen Ouistreham)
- 6 Gildas Morvan (Cercle Vert)
- 7 Erwan Tabarly (Nacarat)
- 8 Romain Attanasio (Savéol)
- 9 Isabelle Joschke (Synergie)
- 10 Sébastien Josse (Vendée)

Source : WOW Cap Istanbul