Crédit : Courcoux Marmara / Le Figaro
"Oui, j'aurai pu perdre le bateau ! oui ! l'idée d'abandonner m'a effleuré ! oui ! j'ai fait une grosse bêtise !" Du Eliès dans le texte, tout en franchise. Pas d'excuses à deux pesetas. La vérité simple des faits, d'un choix stratégique de s'enfoncer au terme du second jour de course au coeur de la baie de Lannion, lassé d'attendre au large une bascule qui tarde à se manifester. Déjà bien entamé par une première nuit de course très sensible à traverser la baie de Seine et à contourner le Cotentin, sollicité au plus profond de ses ressources pour négocier renverses des courants, bascules d'un vent instable au large des Anglo-Normandes, Eliès décide de s'accorder une première sieste d'une vingtaine de minutes. Il cherche les courants à la côte, à défaut du vent au large. Tout semble se passer comme prévu et Yann se laisse aller à la satisfaction du moment. Alors que son Generali-Europ Assistance fonce sous pilote vers Primel-Tregastel, Yann cède à la tentation d'une nouvelle courte période de repos. Alarme défaillante, et c'est l'arrêt buffet du bateau qui le tirera d'un sommeil comateux. Son Figaro, après être passé à toute allure et sous pilote seul au beau milieu d'un banc de cailloux, sous le regard héberlué d'un Fred Duthil estomaqué par ce qu'il croit être du culot, vient de s'échouer sur la plage.Crédit : Courcoux Marmara / Le Figaro
La rage au coeur et l'écoute entre les dents
Tout va alors très vite. Tempête sous un crâne ! Injures, vociférations, mais aussi réflexions et optimisation des gestes de marin. Yann déplombe son moteur, enclenche la marche arrière et se libère des sables. "Je m'en suis voulu à mort ! j'ai pesté ! j'ai pensé abandonner. Pour moi, la Solitaire 2010 était perdue." Et puis tout de suite, une idée, une seule, entêtante, obsédante, envahissante, qui balaie tous les état d'âme et les interrogations métaphysiques d'un athlète en proie au doute. "Je me suis dit que je me devais de sortir de cette épreuve la tête haute. Je pensais, après avoir averti la direction de course, qu'on allait me disqualifier. Il ne me restait qu'à remporter l'étape pour ne pas traîner d'éternels remords." Et Eliès de repartir la rage au coeur et l'écoute entre les dents. "J'ai vite réalisé que mon option à terre était la bonne. J'ai tout de suite recroisé les voiliers partis au large chercher une pression qui n'est jamais venue. Je me suis senti fort. J'étais dans le match. J'ai effacé de mon esprit toute déception et toute culpabilité." Et fort il a été ; le contournement de la pointe de Bretagne n'aura été qu'un long florilège de toutes les difficultés propres à la Solitaire du Figaro, avec ses renverses brutales de courant, ses rotations radicales du vent, sa navigation au plus près des cailloux. Le skipper de Generali-Europ Assistance s'y est montré totalement survolté, enchaînant avec bonheur et malgré un état de fatigue de plus en plus pesant les options tactiques, les prises de décisions instantanées, les choix de voilure... et l es interminables heures de barre pour glisser malgré la dorsale anticyclonique sans encombre jusqu'à Gijon.
"Une étape magique, extraordinairement passionnante" avoue t'il. "Nous étions à vue en permanence en tête de la course. Il y a eu du jeu en permanence, de multiples équations tactiques à solutionner, des rebondissements... J'en ressors "bien cassé". On ne sort pas indemne d'une telle aventure..."
Partagé entre satisfaction de sa deuxième place, le bonheur d'une navigation toute en subtilité et l'incertitude du jugement qui pèse au-dessus de son avenir dans la course, Yann Eliès entend quoi qu'il arrive poursuivre cette Solitaire avec la même envie et la même dynamique qui l'habitent depuis Le Havre, confiant en sa capacité à aller vite, et en ce petit supplément d'âme qui le sublime dans l'adversité.
Source : Générali