Crédit : Courcoux Marmara / Le Figaro
La traversée de la Manche la nuit dernière a été humide et agitée. « Il y a eu pas mal de casses » nous raconte Jacques Caraës depuis le catamaran Direction de Course. La mer très désordonnée est venue à bout d’une dizaine de spis légers, déchirés ou carrément en lambeaux. Ennuyeux pour le matériel mais pas rédhibitoire pour la course puisqu’a priori, les navigateurs n’en auront plus besoin jusqu’à l’arrivée. Plus gênante, la déchirure sur le flanc arrière de Gedimat suite à une collision avec Cheminées Poujoulat après le départ de Brest. En tribord amure, le bateau fait de l’eau, mais Armel Tripon contrôle la situation et garde malgré tout le moral. Si on y ajoute les varangues abîmées de Skipper Macif 2010, les sempiternels problèmes de ballasts et autres petites avaries cachées, la liste des bobos de cette 3e étape est longue : il y aura de la bricole à Kinsale, pour les préparateurs, maître-voiliers et les chantiers du coin !
Quoi qu’il en soit, le long bord de reaching inconfortable dans la boucaille a pris fin ce matin à 7h12 lorsque les premiers concurrents, emmenés par le très solide Thomas Rouxel (Crédit Mutuel de Bretagne) ont doublé le phare de Wolf Rock (Grand Prix GMF Assistance) pour entrer en mer Celtique. Le soleil a refait de timides apparitions et la flotte progresse au près, sous génois et grand-voile haute, à 7 nœuds de moyenne. Mais tout le monde reste aux aguets. Vers midi, le passage rapide d’un front a provoqué une violente bascule de 90 degrés du sud-ouest au nord-est. Et il y aura d’autres virements jusqu’au Fastnet car, nous dit Sylvain Mondon (Météo France), « le vent va fluctuer dans le secteur nord ».
Les ténors tiennent leur rôle
Comme promis donc, la mer Celtique sera tactique. Mais le sera-t-elle assez pour créer des écarts ? C’est là toute la question. Car pour l’instant, la meute, répartie sur 8 milles du nord au sud, avance groupée en distance au but. Et les ténors tiennent très bien leur rôle. Les locataires du podium provisoire figurent en effet dans le top 7. Le discret Thomas Rouxel, 27 ans, 3e au classement général après deux étapes, a occupé la tête de course pendant 24 heures, soit depuis le passage de la bouée de dégagement en rade de Brest hier après-midi. Mais au pointage de 16 heures, il vient de passer la main au patron incontesté de cette Solitaire 2010 : Armel Le Cléac’h. La marge du skipper de Brit Air n’est certes pas énorme (0,4 mille), mais une des caractéristiques du chacal est de ne jamais lâcher le morceau.
Armel Le Cléac’h que ses adversaires qualifient d’intouchable est-il en route pour une troisième victoire d’étape consécutive demain après-midi à Kinsale ? Ce serait un exploit remarquable : dans l’histoire de la course, ils ne sont que six marins à avoir atteint ce degré d’excellence…
Respectivement troisièmes et quatrièmes derrière Crédit Mutuel de Bretagne, il faut saluer les belles prestations de Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls) et Adrien Hardy (Agir Recouvrement) qui tiennent bien la cadence depuis le départ de Brest. Ils sont suivis d’un revenant dans les hauts du classement : Nicolas Lunven (Generali), vainqueur de La Solitaire 2009. Quant à François Gabart (Skipper Macif 2010), le dauphin du classement général, il pointe actuellement en 7e position, à 1,60 milles d’Armel. Les petites frayeurs du départ en rade de Brest (collision puis talonnage) ne semblent pas avoir déstabilisé ce jeune marin blond au mental d’acier !
Arrivée en Irlande mercredi à l’heure de la Guiness
Plus loin en 12e position, Francisco Lobato (ROFF/Tempo-Team) est aussi performant que dans l’étape précédente. Le portugais de 25 ans va sans doute s’en vouloir d’être passé totalement à côté de sa première étape car pour l’heure, c’est bien lui qui montre la voie aux sept bizuths. Les autres animateurs de la tête de course s’appellent Erwan Tabarly (Nacarat), Yann Eliès (Generali-Europ Assistance), Laurent Pellecuer (Arnolfini.fr), Gildas Morvan (Cercle Vert), Corentin Douguet (E.Leclerc Mobile) et Sébastien Josse (Vendée). Mais attention, rien n’est fait, car ces treize-là ne se tiennent qu’en 2 milles !
Prochain rendez-vous important : le passage du Fastnet demain mercredi entre 11 heures et 14 heures avant un finish endiablé et ensoleillé sous les falaises irlandaises…
Ils ont dit :
Armel Le Cléac'h (Brit Air) : "Depuis la pointe Bretagne, on a eu un long bord et là, depuis après le passage de Wolf Rock, la bascule nous est passée dessus avec le vent qui a évolué de plus de 100 degrés, du Sud-Ouest au Nord-Est. Ca tricote un peu dans tous les sens. La nuit s'est bien passée. J'étais content d'être bien sorti de Brest, où j'avais un peu peur de rester coincé dans le goulet. La mer est chaotique, on a un long près jusqu'au Fastnet, il va falloir tirer les bons bords. Avec le passage du front, la flotte est un peu étalée, on verra dans les prochaines heures ce que va donner le vent. Il va falloir tirer les bons bords, choisir les bons moments pour virer et on verra plus clair ce soir, quand on aura passé le vent plus fort. A priori, on sera au Fastnet demain matin, ça dépend de l'oscillation du vent et on va croiser les doigts pour qu'il soit de la partie."
Yann Eliès (Generali-Europ Assistance) : "Un front vient de passer, le vent a basculé du Sud-Ouest au Nord-Est. Il ne pleut plus et ça fait du bien. Après s'être pris des seaux d'eau sur la figure toute la nuit ! On n'y voyait pas grand chose dehors. J'ai tenté un coup dans l'ouest pour échapper à la molle de cette nuit et un cargo m'a fait un 90 degrés devant moi qui m'a obligé à affaler le spi. J'ai perdu un petit peu de terrain, même si je suis toujours dans le bon paquet. Il reste pas mal de trucs à jouer : une dorsale, des bascules de vent, toute la remontée de la côte irlandaise qui va être sympa. Ca va faire une belle étape : on se fait pas mal secouer et il y a beaucoup de coups à jouer ».
Source : la Solitaire