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Rarement un final de Transat AG2R LA MONDIALE n'aura réservé un suspense aussi haletant. Si loin et si proche à la fois, le départ de la dixième édition de l'épreuve promettait le meilleur et à quelques heures des grandes révélations, force est de constater que l'affiche a tenu ses promesses. Si les marins accusent le coup d'une navigation sous haute tension et dans une atmosphère chauffée à blanc, à terre on ne voit pas le temps passer et on se dit que l'intensité de la régate livrée aux avant-postes devrait rester longtemps dans les annales de la course au large. Renforçant le suspense, la "nouveauté" du cru 2010 est en train de rajouter un assaisonnement dont on n'osait même plus rêver. Leaders imperturbables depuis plusieurs jours maintenant, Armel Le Cléac'h et Fabien Delahaye ont en effet choisi de disparaître des écrans de contrôle en sortant leur joker furtif ce matin au classement de 11 heures. Profitant des précieux milles gagnés ces dernières heures et d'un matelas qui s'est épaissi aux abords de l'arc antillais, les pilotes de Brit Air ont attendu d'être hors de portée de leurs poursuivants directs pour tenter d'accentuer leur avance. 24 heures durant, ces deux-là ne sont donc plus "officiellement" en tête puisque invisibles. Les interprétations vont aller bon train et l'attente du retour des deux marins se teinter d'angoisse pour certains et d'excitation pour d'autres. En attendant, le quatrième du dernier Vendée Globe y va d'un peu d'humour et de beaucoup de prudence : « Je suis entre la France et Saint Barth… sur l'eau ! Sur l'Atlantique… Puisque on est proche de l'arrivée, on s'est dit qu'on n'aurait plus eu d'occasions pour utiliser le mode furtif, donc on a choisi cette option aujourd'hui... On ne relâche pas la pression, elle est toujours là mais c'est très positif. On est sur le bateau à 100% mais on n'est pas dans le rouge". Que leurs adversaires directs soient donc prévenus, à bord de Brit Air on demeure en vigilance accrue.
Vers un retour des poursuivants ?
Dans la dernière ligne droite, il faut s'attendre à ce que les leaders ne soient pas les seuls à se cacher. Ainsi, demain, il ne serait pas étonnant de voir les poursuivants de ces derniers, demander à la direction de course de passer en mode furtif. Si cette disparition plongerait Jeanne Grégoire et Gérald Véniard (Banque Populaire) dans une vraie bulle, difficile d'imaginer ce qu'il adviendra du mano à mano que se livrent Gildas Morvan et Bertrand de Borc (Cercle Vert) et Romain Attanasio et Samantha Davies (Savéol). Navigant à vue depuis de longs milles, ces quatre navigateurs sont si proches que les jumelles ne leur sont presque pas nécessaires pour faire l'inventaire de la vie à bord de la concurrence. Mais là encore, les décisions qui pourraient intervenir dans les heures prochaines seront certainement riches de surprises ; preuve en est la perte au classement de 15 heures de la place de leader théorique suite à un empannage de Jeanne Grégoire et Gérald Véniard au profit de Gildas Morvan et Bertrand de Broc. Sur ce point, d'autres rebondissements sont à prévoir. En attendant, pour tous, les signes avant-coureurs de la navigation antillaise sont palpables et donnent à la dernière ligne droite des airs de loterie. Soumis à l'intensification des grains, dans des vents d'Est-Nord Est de 9 à 12 noeuds variant autant en force qu'en direction, tous vont devoir garder tout leurs sens en éveil pour éviter de se faire enfermer dans les pièges traînants derrière les phénomènes et surtout pour tirer partie des accélérations engendrées. "Les concurrents vont connaître 48 heures d'une météo complexe avec un alizé qui va se renforcer à l'Est-Sud Est. Le déclenchement du mode furtif va engendrer de vraies décisions stratégiques. Tout va se jouer sur dix degrés et laisser des conditions stables pour les poursuivants", précisait Eric Mas de Météo Consult à l'occasion de la vacation de la mi-journée, laissant ainsi augurer d'une bataille rangée à tous les étages d'ici à l'arrivée. Menace potentielle pour ceux qui ont mis une option sur le podium, Nicolas Troussel et Thomas Rouxel (Crédit Mutuel de Bretagne) restent en embuscade et tenteront sans complexe aucun d'aller bousculer l'ordre établi par le groupe des quatre. Derrière, avec des bateaux plus ou moins proches les uns des autres, la bagarre va aussi faire rage jusqu'au bout, une partie des espoirs résidant dans l'amélioration de la météo et sa stabilisation. Gageons qu'avec des concurrents comme Eric Drouglazet et Laurent Pellecuer (Luisina), Ronan Treussart et Yannick Le Clech (Lufthansa), Bernard Stamm et Gildas Mahé (Cheminées Poujoulat) ou encore Armel Tripon et Franck Legal (Gedimat), pour ne citer qu'eux, la lutte pour une place dans le Top Ten se profile comme un combat des chefs.
Autant dire qu'au moment où Gustavia se prépare à fêter les marins de la Transat AG2R LA MONDIALE, le suspense reste entier et que pour certains tout est encore à faire. Pouvait-on rêver meilleur final ? Ce n'est sans doute pas ce que penseront les 25 duos dont les premiers sont toujours attendus dans la nuit de lundi à mardi dans le port de Saint-Barthélémy.
Ce samedi, le Trophée de la performance du jour AG2R LA MONDIALE est attribué à Skipper Macif 2009. Eric Peron et Gwen Riou ont parcouru 218 milles en 24 heures.
Classement du jour :
Bertrand de Broc – Cercle Vert - 1er au classement de 15h00 :
« Nous sommes bord à bord avec Savéol. C'est un peu tendu parce qu'il y avait plein de nuages…. C'est une journée sous haute tension. À l'instant nous sommes en train de déterminer notre orientation. Pour ce qui concerne le mode furtif de Brit Air, nous aurons la réponse demain. Ça fait plaisir d'être devant, on s'est bien bagarré depuis le début de la course et je pense qu'on n'a pas fait beaucoup d'erreurs. Ce n'est pas simple tous les jours parce qu'on est sur le bateau 24 heures sur 24… On essaye de faire au mieux. »
Jeanne Grégoire – Banque Populaire – 3e au classement de 15h :
« Je suis à la barre, il fait chaud. On se dit que Brit Air a bien fait de se mettre en mode furtif et je ne m'attendais pas du tout à ça. On a pensé nous aussi entreprendre cette option hier mais, finalement, on a déjà d'autres choses à gérer. Pour l'instant, on ne voit pas trop l'intérêt. On a l'impression que les grains nous passent toujours à côté. La consistance du vent est différente par rapport à la Bretagne, c'est difficile à expliquer : ici 20 nœuds équivalent à 15 en Bretagne. Ca peut être très intéressant ce qui va se passer sur l'eau en ces dernières heures de course, même s'il fait super chaud. Brit Air est en mode furtif mais on le voit ! On était mort de rire quand on a vu qu'ils s'étaient mis en mode furtif. On voit aussi un gros cargo. Par contre derrière on ne voit personne : ils sont trop loin !(rires). On commence à être bronzé mais… ça manque d'hygiène : ça faisait un an que je n'avais pas navigué et j'avais oublié ce côté. Je crois que ça va être compliqué de doubler Brit Air. Somme faite, ils ont commis qu'une erreur, tout au long de la course, juste après les Canaries... »
Source : AG2R La Mondiale