© Jean-Marie Liot / DPPI / Safran
C'est parti… Aux longues heures de près, succèdent maintenant les grandes cavalcades sous spi ou sous gennaker. A l'intérieur des habitacles, celui qui se repose tente de s'habituer à ces bruits d'un nouveau genre : comme une sorte de comptine enfantine lancinante, « et ron, et ron, petit patapon… » Finalement la course au large a parfois des allures de retour à une sorte de posture primitive. Dormir, manger, se laisser bercer par la musique de la coque qui surfe sur les vagues, jusqu'à ce que le choc d'une vague rappelle qu'on est engagé dans une course de vitesse. Avant que ne revienne le rythme de la comptine… Sur le pont, on continue de faire marcher au plus vite… Les unités de mesure prennent un caractère intuitif : pouième d'écoute de grand-voile ou chouia de hale-bas deviennent des références d'une subtilité exemplaire. Seul le speedomètre sert de juge de paix. L'objectif est bien de gratter des milles sur la concurrence. A bord de Safran, Marc Guillemot et Charles Caudrelier ont forcément la tentation de regarder dans le rétroviseur de leur monocoque à la robe gris souris, le retour de la vache rouge de Kito de Pavant et François Gabart (Groupe Bel). Le train d'enfer mené par les deux leaders auquel s'accrochent avec vaillance Mike Golding et Javier Sanso (Mike Golding Yacht Racing) les met provisoirement à l'abri d'un retour inopiné de leurs poursuivants. Il reste que tous cravachent leur monture car les milles gagnés ici ne seront plus à prendre ailleurs. D'autres ont tout autant intérêt à progresser au plus vite : ainsi Victorien Erussard et Loïc Féquet (Guyader pour Urgence Climatique) mettent-ils les bouchées doubles, non pour tenter de grappiller des places, mais pour échapper à l'anticyclone qui se reconstitue dans leur nord et pourrait bien les engluer dans des calmes.
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Prince de Bretagne, la double peine ; Hugo Boss, la déchirure
Pour d'autres, ces problématiques ne sont pas d'actualités. L'équipage de Prince de Bretagne, pour la deuxième fois, a vu son rail de grand-voile s'arracher dans le mauvais temps. Alex Thomson et Ross Daniel n'auront même pas de deuxième chance : après être passé sans encombre majeur au plus fort de la tempête, leur monocoque a percuté un objet flottant provoquant une déchirure d'environ 1,50m sur son flanc tribord. Après avoir pompé toute la nuit, les deux navigateurs ont choisi de retourner vers les Açores et ont notifié leur abandon auprès du comité de course. Ils devraient atteindre Horta jeudi prochain, 19 novembre. La rencontre fortuite d'objets, fruits des déchets de l'activité des hommes, peut être parfois plus brutale que certaines colères de la nature…
Ils ont dit :
Alex Thomson, Hugo Boss - abandon
« Nous avons évalué les dégâts ce matin. Il est très frustrant de constater qu'il nous sera impossible de procéder aux réparations en mer. C'est un sacré coup dur pour l'équipe. D'autant que nous faisions une belle course. HUGO BOSS a survécu au pire de la tempête qui s'est abattue sur la flotte la semaine dernière. Vendredi, nous avons eu plusieurs départs au tapis avec des énormes vagues cassantes et malgré une dérive cassée, le bateau s'en est très bien sorti. Ça m'épate toujours que des équipes d'ingénieurs et de constructeurs puissent construire des bateaux assez costauds pour résister à de telles conditions, et nous avions confiance en notre monture. Nous étions en bonne position pour la course et bien que nous ayons perdu des milles à cause de notre dérive, notre option au Nord avait payé car nous étions restés au contact des leaders. On avait encore la moitié de la course devant nous, mais le plus dur était fait. Nous avions hâte de toucher les Alizés. Je suis extrêmement déçu que notre course s'arrête à cause de déchets jetés à la mer par quelqu'un, c'est brutal. S'il n'y avait pas de brèche dans la coque, nous continuerions sans problème et je reste convaincu qu'on aurait pu faire une belle performance. Comme je l'ai dit hier soir, nous pensions avoir fait le plus dur, alors c'est un sacré coup au moral pour toute l'équipe.
Charles Caudrelier - Safran – 1er au classement Imoca de 11h
« Tout va bien à bord. On a perdu un peu de distance cette nuit, ça nous énerve un peu. Les autres ont bien navigué. Comme on a empanné plus tôt, ça leur a permis de perdre de la distance, on y a perdu une dizaine de milles mais ce n'est pas grave. C'est bien d'être en tête mais le problème, c'est d'y rester ! C'est très frustrant de penser qu'on peut se faire battre. Mais il y a vraiment beaucoup de route… Il nous reste 8 jours de mer, 4 jours très compliqués et surement de nombreuses options, plus ou moins risquées qui vont se dessiner. Je ne connais pas bien Mike Golding, mais je connais Kito et je sais que lui, il va jouer !»
Classement à 17 heures :
Multi 50 :
1 Crêpes Whaou ! (FY Escoffier – E Le Roux) à 2957,3 milles de l'arrivée
2 Guyader pour Urgence Climatique (V Erussard – L Féquet) à 692,6 milles du premier
3 Région Aquitaine Port-Médoc (L Roucayrol – A Alfaro) à 742,3 milles du premier
IMOCA 60
1 Safran (M Guillemot – C Caudrelier) à 2512,4 milles de l'arrivée
2 Groupe Bel (K de Pavant – F Gabart) à 28,1 milles du premier
3 Mike Golding Yacht Racing (M Golding – J Sanso) à 70 milles du premier
4 Veolia Environnement (R Jourdain – JL Nélias) à 309,4 milles du premier
5 Foncia (M Desjoyeaux – J Beyou) à 311,1 milles du premier
Source : Transat Jacques Vabre