Francis Joyon poursuit sa descente de l'Atlantique Sud à haute vitesse, en signant une 11e journée de mer à 500 milles parcourus. Sa quête de l'île Maurice va connaître un tournant important dans les deux jours qui viennent : après les vents faibles d'une zone de transition, IDEC tentera d'aller chercher une dépression australe qui propulserait le trimaran vers le cap de Bonne Espérance. Mais pour l'heure, la vie n'est pas de tout repos à bord du maxi trimaran IDEC qui cogne dans la mer, à plus de 20 noeuds au près. Une allure qui sollicite énormément le bateau – qui connaît sa première avarie - et le skipper. Le moral est toujours au beau fixe mais la tension est réelle, comme en témoigne cet entretien avec Francis, réalisé ce mercredi matin par téléphon e satellite.
Francis, c'est toujours la samba brésilienne à bord d'IDEC, au près ?
Oui ! Cela fait trois jours maintenant que je fais ce grand bord de près au large du Brésil. Je suis passé à moins de 300 milles des côtes. Je fais route vers Tristan da Cunha, encore distant de 1400 milles, et ce n'est pas impossible que je passe à vue de cet archipel volcanique. Cela ne m'est jamais arrivé et ça me ferait plaisir car cet endroit a une belle histoire : suite à des tas de problèmes – dont des éruptions – le gouvernement britannique avait rapatrié ses occupants… mais très vite tous ont préféré retourner sur leur caillou volcanique plutôt que céder aux sirènes du confort des îles anglaises. Je trouve que c'est une jolie histoire.
Quelles sont tes conditions de navigation en ce moment ?
Le vent a tourné à l'est avec un peu de nord dedans, ce qui me permet d'infléchir mon cap légèrement au sud-est (et donc de se rapprocher de la route directe, ndr). Mais c'est assez instable, le bateau passe allègrement de 23 à 14 noeuds comme tout à l'heure… et il est très sollicité. Tellement sollicité que le palan de l'écoute de grand voile a lâché.
Le palan de grand voile a cassé ?
Oui, c'est bien ça, le lashing (fixation textile, ndr) qui le maintient s'est rompu. Il y a tellement de tension partout sur le bateau à cette allure… cela a fait une grosse explosion qui m'a fait sauter au plafond. A ce moment-là j'étais dans mon siège de veille. J'ai heureusement pu réparer assez facilement, cela ne m'a pas posé trop de problèmes.
On imagine que dans ces conditions, la tension n'est pas seulement dans les écoutes, mais aussi dans la tête du marin ?
Je suis un peu sur les nerfs car il faut vraiment surveiller le bateau en permanence, à cette allure et avec ce vent instable. Le bateau ne fait après tout que 16 mètres de large et il lève la patte très vite. Donc il faut être vigilant chaque seconde pour choquer et reborder les voiles dès que la coque au vent monte trop haut… c'est très sollicitant à la fois pour le matériel et pour le bonhomme, effectivement. Disons que je ne serai pas fâché d'arriver dans des vents portants, ça fera du bien !
Côté météo, le scénario envisagé se confirme ?
Oui, je vais devoir poursuivre ce près océanique encore au moins un ou deux jours, puis il y aura une zone de transition qui ne sera pas facile à négocier avec des vents faibles, au nord de Tristan da Cunha. Ensuite, le but est de rattraper une dépression australe au sud de cet archipel, avec des vents de 30 à 40 noeuds qui devraient me propulser vers le cap de Bonne Espérance. Donc oui, le scénario se confirme et il faut féliciter Jean-Yves Bernot (son routeur, ndr) pour ça : même loin dans l'Atlantique Sud il arrive à faire des bulletins précis et efficaces. Comme quoi la météo a bien progressé (rires) !
Une dépression avec des vents de 40 noeuds… si l'on comprend bien tu vas chercher ce que le plaisancier du dimanche fuit comme la peste ?
C'est la seule manière efficace de faire de la route rapidement et dans le bon sens. En tous cas, ça ressemble furieusement à un début de tour du monde, tout ça !
Source : Idec