A 13h14 très exactement, après un premier rappel général, les 52 marins ont dit au revoir à Dingle où ils n’auront vécu qu’une courte escale de deux jours. Pour l’occasion, l’Irlande avait déballé tous les clichés dont on ne se lasse pas : une température au parfum d’automne, un joli vent de sud-ouest, la gamme des gris déclinée dans le ciel, celle des verts enrobant les collines, sans oublier la touche finale : l’indispensable éclaircie magique au moment où les leaders croisaient le fer sous les falaises.
Auteurs du plus joli départ au bateau comité, Gildas Mahé (Banque Populaire) et Thierry Chabagny (Suzuki Automobiles) imposaient leur cadence dans les premières longueurs et enroulaient à une minute d’intervalle la bouée de dégagement Radio France, après trois milles de louvoyage dans un vent de sud-ouest de 15 à 18 nœuds. Au pointage de 16h00, après être sortie de la baie au près, avec quelques virements spectaculaires au ras des falaises, l’escadre s’apprêtait à parer toutes les pointes de la côte sud-ouest de l’Irlande : Bray Head, les îles Skellig, The Bull puis Mizen Head. A 7 nœuds de moyenne, secoués par un ressac désordonné, Mahé et Chabagny étaient toujours aux commandes, suivis de Gildas Morvan (Cercle Vert), Nicolas Troussel (Crédit Mutuel de Bretagne), Jean-Paul Mouren (M@rseillentreprises), Aymeric Belloir (Cap 56), Frédéric Duthil (Bbox Bouygues Telecom), Eric Drouglazet (Luisina), Ronan Treussart (Black Hawk) et Thomas Rouxel (Défi Mousquetaires)… fragile top 10 aux avant-postes d’une flotte très compacte.
Bientôt, il sera temps de laisser filer les écoutes. Les spinnakers, si peu utilisés depuis le début de cette 40e Solitaire, devraient enfin sortir des sacs et propulser les bateaux à vive allure pendant une cinquantaine de milles, jusqu’au Fastnet, prochaine marque de parcours sur la route de Dieppe. Les premiers devraient doubler le fameux rocher autour de 20 heures ce soir. La bataille navale ne fait que commencer.
« Une étape de saigneurs »
Ce dimanche matin, en effet, sur les pontons frisquets et ventés de Dingle, les bouilles étaient rieuses, mais l’humeur belliqueuse. Pour cette der des ders, les marins partent bien en guerre, la fleur au fusil, l’envie décuplée par la physionomie d’un classement général où une vingtaine de coureurs ont encore leur chance. « C’est le jour du seigneur mais ce sera une étape de saigneurs » lance Michel Desjoyeaux, pas mécontent de ce jeu de mot éloquent. Yann Eliès en rajoute dans la métaphore chasseresse, lui qui se sent une âme de « prédateur » à l’affût de ses « proies ». Quant aux autres, ils reprennent en chœur l’antienne selon laquelle « il faudra être à l’attaque, jouer sa carte à fond, ne pas se ménager ». Sus donc à cette ultime étape, celle de tous les dangers et de tous les espoirs. La méthode sera radicale et l’offensive sans pitié. Mais attention, car ce marathon vers la Normandie s’apparentera aussi à une guerre d’usure. Et l’action débridée ne devra pas l’emporter sur la réflexion. Si la première partie du parcours va se résumer, à une course de vitesse au portant, le vent sera mollissant sous les côtes anglaises, les courants bien présents et l’anticyclone pourrait bien piéger les marins dans la traversée de la Manche, pour les 100 derniers milles de course. Dans leur euphorie, les skippers avertis savent qu’ils devront économiser leurs forces pour la grande scène finale et jouer en finesse à l’intérieur d’un curieux paradoxe : se donner à fond tout en se ménageant.
Crédit : Marmara - Vialeron / Le Figaro
Source : La Solitaire