Sur les pontons des Sables d’Olonne, les regards ont changé. Les esprits sont ailleurs et se projettent dans un avenir proche où les choses terrestres n’ont plus leur place. L’angoisse se mélange à l’excitation. Pour les navigateurs qui s’apprêtent, dans 24 heures, à prendre le départ de leur tour du monde en solitaire sans escale et sans assistance, ces derniers instants à terre, très forts en émotions contradictoires, sont aussi difficiles à vivre qu’importants à maîtriser.
Malgré les discours qui confinent parfois à la méthode Coué (je vais bien, tout va bien), les visages, au fil de la semaine, se sont lentement métamorphosés. L’effet anesthésiant du grand tourbillon d’avant-départ dans lequel les marins se sont immergés corps et bien, est en train de s’estomper. Place au repli intérieur, adaptation mentale aux futures conditions de vie.
« Tous les skippers qui vivent ce moment s’en souviennent toute leur vie » confie Ellen MacArthur. « Être au départ d’un Vendée Globe, c’est quelque chose de très fort, d’impressionant. Même ici, alors que je ne cours pas, je sens l’angoisse, je sens l’émotion autour des gens. Les skippers, eux, voudraient déjà être en mer. Ils voudraient, d’un claquement de doigt, être tout de suite à 10 milles au large de la ligne de départ et que ces dernières heures n’existent pas. Mais c’est normal que le stress arrive. Si tu n’es pas angoissé à la veille de faire un tour du monde en solitaire, c’est que tu es fou ».
Alain Gautier, lui, souligne l’importance de bien maîtriser les excès émotionnels pour ne pas nuire à la performance : « Chaque marin a sa manière de voir les choses. Certains sont très anxieux, d’autres paraissent détendus, mais au fond d’eux, ils sont déjà noués, d’autres, avec l’expérience, sont plus zen. J’avoue que très rapidement, j’ai du faire de la sophrologie pour gagner en décontraction. Car il est nécessaire de très bien se préparer à affronter les jours qui précèdent un départ. Dans une situation de contrainte maximale, il faut savoir se mettre sur son nuage pour éviter le stress supplémentaire qui peut nuire à tes performances sur les trois à quatre premiers jours de course. J’en connais qui ont perdu des transats pendant la semaine avant le départ car ils étaient trop anxieux. Or, les premières heures de course, la première nuit est déterminante. Il faut savoir qu’historiquement, 100% des vainqueurs du Vendée Globe étaient en tête après 24 h de course –même s’ils l’ont perdue en cours de route - ».
Dans ce contexte, la dernière nuit sera sans doute blanche pour la plupart des marins. Dimanche, lorsque les rafales de vent feront claquer les pavillons dans les mâts et qu’il sera l’heure de dire au revoir aux siens, la pression atteindra son paroxysme. Elle étreindra encore les marins pendant les trois mois d’une course qui s’annonce phénoménale…
Rappel des conditions de départ, ici
Source : Vendée Globe